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Moto Hagio - Anthologie Dessin et scénario : Hagio Moto Coffret Albums indépendants, terminé |
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Volume 1 - 2013 | Volume 2 - 2013 |
  Herbv
| Petit à petit, Moto Hagio commence à trouver sa place dans le paysage du manga francophone. Après le très confidentiel Léokun disponible en microédition bilingue (français et japonais, s’il vous plait !) lors de l'édition 2012 de Japan Expo et Le Cœur de Thomas édité par Kazé Manga, soi-disant très attendu et passé totalement inaperçu lors de sa sortie en décembre 2012, c'est au tour de Glénat Manga de proposer une anthologie regroupant neuf titres représentatifs de la longue carrière de l'auteure.
Le premier contact pourrait être négatif, l'objet étant composé de deux livres dans un petit format, réunis dans un coffret rigide au graphisme minimaliste en N&B. Toutefois, c’est voulu et assumé par l'éditeur. Pourquoi pas. Pourtant, quand on connaît les qualités d'illustratrice de Moto Hagio, peut-être est-il dommage de devoir se contenter d'un design si épuré, même si les deux couvertures, l'une or et l'autre argent, ont un certain cachet. Heureusement, l'intérieur est réussi, avec une impression de qualité. Le papier, très crème, paraît un peu ostentatoire en début de lecture.
Le choix des nouvelles est judicieux, même s'il se limite aux histoires publiées originellement chez Shôgakukan à une exception près. Moto Hagio ayant effectué l'essentiel de sa carrière dans les différents magazines de l'éditeur, ce n'est donc pas étonnant. On couvre ainsi la première moitié de la carrière (et la plus notable) de l'auteure. Ah ! Eternels insatisfaits, nous aurions apprécié une nouvelle récente, complétant le tome De l'humain, tome déjà excellent. Il faut aussi féliciter l'éditeur pour son travail éditorial. Il nous gratifie d’un véritable appareil critique présentant la mangaka (une bibliographie, deux témoignages et une courte présentation de chaque histoire, étrangement située à la fin de chaque nouvelle).
Les thèmes chers à l'auteure se retrouvent tous dans l'anthologie. Considérons le premier volume, « De la rêverie ». La science-fiction est particulièrement mise en avant avec l’une de ses principales œuvres du genre, « Nous sommes onze », récit pour lequel Moto Hagio a reçu le prix Shogakukan en 1976 (réalisant le doublé avec Le Clan de Poe). Effectivement, si l‘on fait abstraction de l'environnement technologique et des tenues vestimentaires, « Nous sommes onze » est une bonne histoire qui a plutôt bien vieilli. La narration est rythmée, il y a du mystère et du suspens, l'auteure s'intéresse aux différents protagonistes en prenant le temps de les présenter et de leur donner un rôle, et enfin, il y a un début d'évocation des questions de genre avec le personnage de Flore qui donne un peu de profondeur au récit.
Malheureusement, il n'est pas possible d'être aussi enthousiaste avec « Est et Ouest, un lointain horizon – Nous sommes onze – suite ». La trame géopolitique qui sous-tend les différents événements et agissements ne tient pas réellement la route, il est difficile de se passionner pour les personnages secondaires, il y a quelques facilités scénaristiques plutôt malvenues. Il reste que le récit est plutôt enlevé, qu'il possède un certain souffle épique et que le tout se laisse lire. L'autre récit se rattachant à la science-fiction, même s'il s'agit plus d'un décor qu'autre chose, est « Un Rêve ivre ». Utilisant le thème de la réincarnation et du rêve, passerelle entre les mondes et les époques, l'histoire n'arrive jamais à intéresser. Le dessin de Moto Hagio y est plus anguleux, rappelant celui de A, A' (sorti en 1997 aux États-Unis chez Viz) datant de la même époque, c'est-à-dire du début des années 1980.
Le fantastique est assez peu représenté dans l'anthologie. Pourtant, « Le Petit flûtiste de la forêt blanche » est une vraie réussite. En faisant appel au thème de la mort, la mangaka réussit à nous émouvoir grâce à la grande sensibilité dont elle sait faire preuve. Il s'agit qui plus est d'une de ses premières nouvelles, datant de 1971. Cela se sent tant par l'environnement (l'Angleterre de la fin du dix-neuvième siècle) que par les protagonistes (des enfants bien blonds comme il se doit à l'époque), autant d’éléments représentatifs des shôjo des années 1960. Nul doute que les jeunes lectrices de l'époque ont dû être touchées par cette histoire, même si la mode dans le manga au féminin à ce moment-là était aux drames.
Le volume intitulé « De l'humain » propose des histoires d'un tout autre genre : ce sont les relations humaines qui se trouvent à chaque fois au cœur du récit, notamment les relations entre la mère et son enfant (et par extension, les relations au sein des familles japonaises). « La princesse iguane » est la meilleure nouvelle de toute l'anthologie (elle est assez tardive, datant de 1992). Elle met en scène Rika, que sa mère voit comme un iguane anthropomorphe, au point que notre jeune héroïne s’en persuade elle-même et se voit aussi ainsi, à la différence du reste de leur entourage. L'arrivée d'une petite sœur ne va qu'aggraver la situation tant elle doit subir les reproches de sa mère qui lui préfère la cadette et ne s'en cache pas. Heureusement dotée d'une grande intelligence, Rika va réussir à se construire et à pardonner au lieu d'être détruite par sa famille dysfonctionnelle (rejet de sa fille par la mère). La figure de l'iguane est une allégorie donnant espoir à toutes les filles en opposition à sa mère, ce qui fut le cas de Moto Hagio qui ne fut jamais ce que ses parents auraient voulu qu'elle soit.
« Mon côté ange » nous narre la triste histoire de deux sœurs siamoises et de leur difficile cohabitation : l'une est très jolie mais mentalement arriérée, l'autre intelligente mais physiquement desservie. Là aussi, le thème de l'épanouissement des enfants ainsi que celui du pardon sert à délivrer un message d'espoir. On ne peut pas en dire autant de l'excellente nouvelle datant pourtant des débuts de l'auteure : « Pauvre maman ». Dans une Europe intemporelle chère aux shôjo, nous faisons connaissance avec un jeune garçon, lors de l'enterrement de sa mère, victime d'une chute mortelle. L'arrivée d'un ancien amoureux de cette dernière va permettre de connaître la sordide vérité de ce drame.
« Le pensionnat de novembre » plaira aux personnes ayant apprécié Le Cœur de Thomas, les autres auront peut-être du mal à être concernées par la relation triangulaire d'Erik, Oscar et Thomas. Véritable prototype du manga sorti chez Kazé Manga, cette histoire présente surtout un intérêt historique en préfigurant la vague des histoires à tendance shônen-ai qui connaitront un grand succès grâce à l'œuvre phare de ce sous-genre du shôjo : Kaze to ki no uta de Keiko Takemiya.
L'anthologie se termine sur un excellent récit historique situé à Paris durant la Seconde Guerre Mondiale. Avec « Le coquetier », Moto Hagio a réalisé une fiction complexe mélangeant les thèmes de persécution des juifs par les nazis, la résistance et la collaboration, la survie en temps de guerre, la prostitution des jeunes garçons, à une histoire de meurtres et de vengeance. Très noire, sordide, cruelle, cette plutôt longue nouvelle (une centaine de pages réalisées en 1984) est passionnante de bout en bout. On ne peut s'empêcher de vibrer avec Louise qui cherche à échapper à un destin que l'on devine funeste. Magistral ! |
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