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Double Masque - Interview de Dufaux et Jamar par Benny

Martin Jamar et Jean Dufaux
* 22 Septembre 2004 – Paris *


Tout commence par un coup de téléphone. On me propose une interview à l’improviste. Jean Dufaux, Martin Jamar: joli tirage, j’accepte avec plaisir. Alors c’est parti, rendez vous dans un restaurant indien proche du boulevard Haussmann, quand j’y arrive tout le monde est encore à table. J’y rencontre un dessinateur timide, modeste aussi, qui s’efface dans la cohue du repas, mais qui, en tête à tête, vous confie avec passion ses envies et ses projets. Il y aussi ce scénariste, Jean Dufaux, dont vous avez sûrement entendu parler un jour, au coin du feu un long soir d’hiver. L’homme au 147 scénar’. Il ne sait pas dessiner alors sa vocation était toute trouvée. Lui c’est différent, il est à l’aise, parle bien, sort de grandes phrases, des citations et s’emploie à montrer qu’il connaît son métier, le dessinateur s’efface de nouveau, comme si une hiérarchie de la parole était instaurée. Tout est prêt, l’attachée de presse protectrice est éloignée, alors commençons.

  • Pour commencer, une question classique: qu'est ce qui vous à poussé à faire de la BD ? Est-ce une passion d'enfance, ou bien un intérêt que vous avez porté plus tard l'un pour le dessin, l'autre pour l'écriture?

    Jean Dufaux : C’était il y a longtemps… Question suivante ? (Rires)

    Martin Jamar : Moi c’est une passion qui est arrivée relativement tard par rapport à d’autres, vers 20-22 ans. C’était d’abord une envie de faire quelque chose dans le dessin, mais ce n’était pas forcément dans la bande dessinée. Je lisais des BDs, mais je ne connaissais personne dans le milieu et ce métier me paraissait un peu inaccessible, ou du moins assez difficile d’accès. Ce n’est que pendant mes études de Droit que j’ai rencontré celui qui serait mon premier scénariste, qui m’a donné l’envie de me lancer dans la bande dessinée avec lui. Il s’appelait François Julien. Sinon, je suis totalement autodidacte. Après mes cinq années de Droit, je me suis lancé tout de suite dans la bande dessinée, j’ai appris complètement par moi-même. J’ai passé une matinée dans une école de dessin, mais je voulais tout de suite travailler, tout de suite dessiner.



  • Votre arrivée dans la Bd s'est-elle faite facilement?

    Jean Dufaux : Non. Je crois que tout métier artistique est à la fois très facile, très difficile, très compliqué, et chaque parcours est différent. Il faut ne vouloir que ça, n’être bon qu’à ça, ne pas avoir d’alibi, ne pas avoir d’autres possibilités, éventualités. Ça passe ou ça crève, quoi. Ce n’est jamais facile au départ. Je pars du principe que si l’on veut être un artiste il ne faut rien faire d’autre. C’est simple : c’est ma femme qui faisait bouillir la marmite, elle avait un métier où elle gagnait bien sa vie. Pendant trois ans je n’ai gagné que 400 € par an. Il y a beaucoup de noms actuellement qui ne font que passer, moi je crois qu’il faut y aller à fond, être tout nu et dos au mur pour casser ou pas. C’est en fait un métier dangereux, si vous cherchez le confort il ne faut pas faire un métier artistique.

    Martin Jamar : C’est quelque chose qui n’arrive pas du jour au lendemain. Pour la première BD, j’ai commencé à dessiner une bonne trentaine de planches avant de les présenter à un éditeur, d’ailleurs le scénariste aurait préféré que je dessine l’entièreté d’un album avant de le présenter. On a donc envoyé le projet à différentes maisons d’éditions, dont Glénat qui était plutôt partante, mais en fait on a choisi une petite maison en Belgique. J’ai choisi une petite maison car j’avais l’impression qu’on me laisserait plus de temps pour faire mes armes et apprendre mon métier. Finalement j’ai toujours eu beaucoup de chance, j’ai toujours pu trouver, relativement facilement, un éditeur. Les histoires se sont enchaînées sans problème.
    Pour Double Masque, les gens de chez Dargaud connaissaient déjà bien Jean Dufaux, ils me connaissaient aussi, ils nous ont donc vraiment fait confiance. On a simplement présenté un synopsis, mais je n’ai même pas souvenir d’avoir dû présenter quelques planches. C’est pour cela que je parle vraiment de relation de confiance, ils s’attendaient à quelque chose d’intéressant de notre part, cela c’est donc fait facilement.



  • Quelles furent les circonstances de votre rencontre? Pourquoi avoir voulu collaborer l'un avec l'autre?

    Martin Jamar : J’ai eu envie de travailler avec lui après ma seconde série. Il voulait raconter une histoire sur le Second Empire et sur la Commune, ça a donné Les Voleurs d’Empires. Pour Double Masque, c’est un peu plus moi qui ai eu envie de venir à cette période-là. Forcément, avant de se lancer dans un tel projet on en parle, et on voit un petit peu ce que l’on aimerait faire ensemble. Je lui avais dis que j’aimais beaucoup cette période, et lui trouvait intéressant d’apporter ce personnage de Napoléon qui n’a pas été énormément traité.


  • Double Masque signe votre seconde collaboration, c’est la preuve que le duo fonctionne. C’est sûrement plus facile de retravailler avec quelqu’un que l’on connaît déjà bien ?

    Jean Dufaux : Ou on est masos, ou ça fonctionne. (Rires) Disons que nous avons des repères, des bases, des carrefours, qui permettent d’aller un peu plus vite. Ce n’est jamais facile parce que chaque volume, chaque histoire, chaque personnage demande un investissement, mais il y a certaines habitudes de travail, de collaboration qui sont prises.

    Martin Jamar : Oui, je crois que ça fonctionne. Si nous n’avions pas été tout à fait satisfaits des Voleurs d’Empires on en serait sans doute resté là. Moi, en tout cas, j’avais réellement envie de retravailler avec Jean. Je pense que lui aussi était partant. On pensait à ce projet-là depuis déjà quelques années, c’est quelque chose qui mijotait depuis un certain temps. On voulait juste arriver au bout des Voleurs d’Empires avant de commencer autre chose.


  • Côté scénario, on retrouve des thèmes qui vous sont chers Jean Dufaux, tout d'abord la quête du pouvoir, dans Double Masque on découvre encore deux rivaux avec ce besoin de domination. On note aussi la présence d'un « masque », à croire que pour vous les masques représentent un côté sombre, pensons à Giacomo qui rencontrait un tueur masqué, ou encore à la série Ombres. D'autre part, on retrouve un perso principal arnaqueur de première et vivant de ses petites magouilles, comme une sorte de nouveau Giacomo ?

    Jean Dufaux : La quête du pouvoir m’interpelle. La position des individus vis-à-vis du pouvoir me fascine, c’est une chose que j’ai du mal à situer et je pense que c’est une question que je vais agiter jusqu’à la fin de ma carrière, entre autres. Le masque est aussi emblématique. Regardons la couverture de Double Masque, qui est un pari réussi de Martin Jamar, 95% des gens y voient Napoléon Bonaparte alors que l’on ne voit pas son visage. On voit un masque blanc, neutre, et ce qui m’intéresse moi c’est de savoir si, quand on applique un masque sur une peau, la personnalité change, ainsi que les traits du visage. C’est à la fois Bonaparte, et ce n’est pas lui. C’est ça qui m’intéresse dans la fonction du masque, c’est qu’elle change quelque chose dans votre nature, dans votre identité et dans votre destinée également.
    Pour finir sur le personnage principal, c’est finalement une personne que je connais bien, c’est un peu mes vingt ans. C’est quelqu’un qui se sent bien dans des milieux très différents, qui est à l’aise dans la fête, qui est à l’aise un peu dans le drame, qui court après le temps, après l’argent, après les dames. Je peux vous citer un exemple, quand j’avais un peu plus de vingt ans et que j’ai rencontré celle qui deviendrait mon épouse, nous avions très peu d’argent, et j’aimais l’inviter le midi. Alors j’allais jouer au poker, vers 11h30 et pendant une heure, pour gagner l’argent du repas, je me souviens même de l’endroit, à Bruxelles, ou cela se déroulait.


  • Passons à l'univers, vous restez dans une époque qui vous est cher tout en attachant cette fois un encrage encore plus fort dans l’Histoire. Cela permet un grand réalisme au récit mais ne pose t’il pas trop de contraintes dans l’écriture et le dessin ?

    Martin Jamar : C’est sûr, on est dans un contexte historique qui fait que l’on ne peut ni raconter, ni dessiner n’importe quoi. Mais à partir du moment où l’on a envie de faire une BD à caractère historique, on se documente, on s’informe, et c’est aussi une partie intéressante du travail. Faire des recherches est quelque chose que j’aime beaucoup, et si je pouvais y consacrer plus de temps ce serait très bien, mais il y a toujours des contraintes éditoriales.

    Jean Dufaux : Moi, je crois que c’est un espace de liberté avec un cadre précis, le cadre renforce la liberté, et la liberté enrichit le cadre.


  • Jean, j'ai répertorié les Bds que vous avez scénarisé. et j'en ai dénombré 135, sur une vingtaine d’années de métier. Vous êtes réellement un auteur prolifique, mais n’avez vous pas eu parfois l'impression d'en faire trop? Ne risque t’on pas de tomber dans un « déjà vu » lassant pour le lecteur ?

    Jean Dufaux : Je ne me suis jamais intéressé aux chiffres, mais comme une personne c’est chargée de répertorier tout ce que j’ai fait, on arrive à 146 ou 147 albums. Je ne pense pas que cela soit trop, car lorsque je vois les cinéastes que j’aime, qui ont fait l’âge d’or du cinéma américain, ils ont fait comme metteur en scène jusqu’à 40 films, ce qui est beaucoup, des acteurs ont eux fait jusqu’à 150 films… Parce qu’on va de l’avant. J’ai besoin d’un projet, je ne me dis jamais, comme Martin le fait : « J’aurais dû faire mieux là », je me dis : « Je ferais mieux la prochaine fois. ». J’ai toujours fait de l ‘écriture, et elle me pousse à être devant moi et pas derrière moi. La lecture et l’écriture sont deux choses extrêmement liées pour moi, et chaque jour je lis, j’écris, j’ai besoin de ça. Je me fous du chiffre, c’est un besoin, je le fais parce que c’est naturel pour moi. Je ne fais pas de sélection ensuite lorsque je publie, je fais une sélection dans les amis, dans les rencontres.


  • Petite question salaire, comment vous répartissez vous le « butin »?

    Martin Jamar : (Rires.) C’est une question bien inhabituelle. D’une façon générale, en Belgique, la répartition se fait deux tiers pour le dessinateur et un tiers pour le scénariste. En France, par contre, c’est plus souvent 50% chacun. Avec Jean Dufaux, les choses étaient claires au départ : c’était 50%. Maintenant, avec le temps, les choses ont un petit peu évolué avec une répartition différente, un peu plus à mon avantage. Si on voit ça avec les heures passées sur la planche, il est clair que je passe plus de temps pour terminer un album que le scénariste.

    Jean Dufaux : Mais il n’y a pas de règles. Il y a un rôle prédominant du dessinateur sur le temps passé sur les planches, alors il est normal qu’il soit nettement plus payé que mois à la planche. La répartition reste extrêmement compliquée car certains dessinateurs passent 6 mois sur un album et d’autres 15 mois, donc je ne vais pas commencer à faire des calculs de boutiquier là-dessus. Je prends donc plus ou moins un tiers, deux tiers, mais en pourcentage, la création reste pour moi à 50/50, cela me semble indiscutable.


  • Pour vous, Martin Jamar, rédiger le scénario c’est tabou ou bien c’est un projet ?

    Martin Jamar : C’est une envie, malgré tout, qui existe. Je me dis parfois que ce serait plutôt amusant, mais ça ne vient que cycliquement. J’ai quelques idées qui me traînent dans la tête, mais tant que ce n’est pas vraiment mis sur le papier…. Je ne me suis pas vraiment lancé dans l’écriture d’un scénario, et je ne vais pas m’avancer en disant « Je sortirais un jour mon histoire, je serais auteur complet ». Je crois que j’aimerais bien essayer, mais ce n’est pas encore dans l’immédiat. En tous cas les idées que j’ai nécessiteraient quelques albums, ce serait moins historique, il y aurait un petit peu plus une part d’imaginaire, une histoire un peu plus hors du temps, sans être de l’Héroïc Fantasy.


  • Vivez vous bien de cette passion pour la bande dessinée ?

    Jean Dufaux : C’est plus facile d’en vivre quand on est un scénariste qui fonctionne, ce qui est mon cas. Mais il ne faut pas oublier non plus que pendant des tas d’années j’ai gagné beaucoup moins qu’un dessinateur. On crève au départ en tant que scénariste, on ne gagne rien, au moment ou le dessinateur a appris la planche, le scénariste n’a rien à part des droits misérables. Il y a très peu de scénaristes qui gagnent leur vie. C’est les années, c’est la personnalité, c’est certains scénaristes qu’on peut quasiment compter comme rares.

    Martin Jamar : Moi ce n’est pas encore la voie royale mais disons que petit à petit je vois quand même les choses évoluer dans le bon sens.


  • On a assisté à un boom des parutions Bds ces dernières années, aujourd'hui le milieu de la bd est paraît-il « engorgé », qu'en pensez vous? Cette sur parution ne risque t'elle pas de causer une baisse des ventes par albums? Et ainsi une perte financière pour les auteurs, et aussi, d'une façon moins importante, pour les Maisons d'Editions?

    Jean Dufaux : Je crois que la surproduction est répandue à l’ensemble des produits culturels, 100 000 DVDs, 100 000 CDs, 100 000 BDs, et ça ne va pas s’améliorer. On va vivre dans un magma d’images et de textes, où chacun piochera selon son choix, et c’est vrai qu’il vaut mieux être dans les meilleurs que derrière, parce que derrière ça va faire très mal. En général ce sont les jeunes qui dégagent, avec les séries nouvelles, les séries fragiles. J’ai connu ça.

    Martin Jamar : Je pense que, à un moment donné, on va atteindre une saturation. Ce n’est pas possible de continuer à augmenter les parutions. Je pense que les lecteurs ne pourront plus suivre, ni les libraires d’ailleurs. A un moment donné cela risque de poser problème, c’est une question d’équilibre. La balance penche un peu aujourd’hui du côté de la surproduction, mais cela risque probablement de ralentir. D’un autre côté c’est aussi le signe que la bande dessinée se porte bien. C’est plus difficile toutefois d’émerger, de sortir du lot. Idem pour les petites maisons d’édition qui risquent d’en subir les conséquences, alors que c’est parfois grâce à elles que l’on peut faire nos premiers pas. La solution serait de privilégier la qualité, maintenir le niveau à une certaine hauteur sans publier n’importe quoi. Il y aura une sélection naturelle.


  • Avez vous eu des mentors pour vos débuts dans la bd? Et aujourd’hui, qui retient votre attention dans les « jeunes» auteurs ?

    Jean Dufaux : Je n’ai pas eu de mentors car mes mentors à moi venaient plutôt de la littérature et du cinéma, je n’ai donc aucun mentor en bande dessinée. Aujourd’hui, je lis de la bande dessinée par fraction, car, ayant la chance de travailler dans plusieurs maisons d’édition, je tombe très souvent sur de petites planches ou un chapitre imprimé dans je lis par morceau, techniquement. La seule bande dessinée que j’ai lue en album complet ces derniers mois, c’est Le Combat Ordinaire de Larcenet. Je crois, tout comme Sfar, que cet auteur apporte quelque chose et qu’il mérite sa place dans la bande dessinée.

    Martin Jamar : Il y a eu certains dessinateurs que j’appréciais beaucoup, et que j’apprécie toujours, Juillard par exemple, c’est quelqu’un d’extrêmement important au niveau du dessin pur et de la bande dessinée historique. Il y a aussi Bourgeon que j’aime énormément. Il est difficile toutefois de savoir s’ils m’ont influencés. Je lis du Loisel aussi. Dans les plus jeunes auteurs, Manu Larcenet est quelqu’un que j’apprécie beaucoup. J’adore ce qu’il fait et pourtant c’est très éloigné de ce que je fais moi même, ses histoires me font vraiment marrer. Dans la collection Poisson Pilote il y a aussi de bonnes choses, notamment Isaac le Pirate. Le Marquis d’Anaon de Fabien Vehlmann et Mathieu Bonhomme, est une autre série que j’aime beaucoup, c’est d’ailleurs le genre d’histoire que je me verrais bien dessiner.


  • Terminons sur Double Masque, que pouvez vous nous dire du second album?

    Martin Jamar : Le tome 2 est déjà terminé, il sortira vers février 2005. C’est d’ailleurs quelque chose qui ne m'était jamais arrivé, d’avoir un tome d’avance et de commencer un tome 3 alors que le tome 1 sort.

    Jean Dufaux : le principe de base que chaque histoire se rapporte à une année du Consulat de l’Empire. On a démarré en 1802, le tome 3 se nommera « L’Archi Fou », surnom de Cambacérès. Et les tomes 4 et 5 se rapporteront au sacre de Napoléon en 1804. Ce tome 2 répond à certaines questions du tome 1, pas toutes. Je suis très content que ce volume paraisse très vite car je crois qu’il boucle un certain système. J’espère que les lecteurs trouveront dans ces tomes un plaisir simple.



    Finalement c’est une interview en deux temps à laquelle j’ai eu le droit, en quelque sorte celle d’un duo que l’on a du mal à imaginer, de deux personnes qui parlent chacune de l’autre avec respect, avec politesse, mais aussi avec distance. Quand on lit l’interview cela y paraît peu, mais face à face c’est étrange, déroutant. Encore maintenant, je me demande ce qui a réuni deux auteurs si différents, mais le résultat est plutôt concluant non ?


    Merci à Martin et Jean pour ce sympathique moment.
    Merci à Hélène pour me l’avoir proposé.



    Images Copyright © Jamar/Dufaux - Dargaud 2004

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