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| Voyage est la longue, et silencieuse, et cristalline description d’un périple ferroviaire entrepris par trois hommes. Le sujet embrassé par Yokoyama est moins ce trajet en train pourtant (les distances franchies, le territoire parcouru...) qu’un trajet dans le train. Un voyage dans le voyage. Sitôt le train parti, en effet, les personnages entreprennent de traverser le convoi. Les personnages sont alors confrontés à l’architecture, à l’aménagement de la machine. Ils sont confrontés par-dessus tout aux regards et aux corps des autres passagers : dans le train on s’observe, on se croise, on se regarde passer, on se gêne, on se rencontre parfois. Si bien que ce Voyage consiste d’abord, consiste avant tout à traverser des visages. Succession de portraits avec à la fin peut-être, tout au bout, mais tout au bout seulement, la promesse du paysage. |
  thierry
| Trois hommes prennent un train. C'est a peu près tout ce dont il est question dans ce troisième ouvrage de Yokoyama traduit en français. A part cela ? Rien ! Rien qu'une plongée hallucinante dans le frénésie de la société contemporaine, dont Yokoyama excelle a traduire la folie en quelques traits. Les personnages n'apparaissent que comme des caricatures d'humains, déshumanisées a l'extrême, quasi asexués, muets et dont le comportement pourrait être qualifié d'autistique. Aucune expression ne transparaît sur les visages, a peine esquissés. Aucune interaction entre les individus,si ce n'est purement fonctionnelle. Parfois, 2 personnes semblent se croiser du regard, mais cela ne débouche sur rien.
A quoi bon ce voyage ? Tous les passagers semblent n'être que des navetteurs qui semblent vivre ce trajet comme une stase avant destination. Et encore se demande-t-on si ce trajet n'est pas l'élément central de la routine des voyageurs. Plus de vie de famille ni de travail. La vie se résume une navette perpétuelle. Attendre sur le quai, prendre le train, descendre et attendre le train suivant pour le trajat de retour. La pluie peut tomber, les paysages peuvent changer, rien ne semble avoir de prise sur les passagers.
Le propos de Yokoyama est limpide. Quelle vie vivons-nous ? Ce voyage absurde renvoie a la vacuité des relations humaines actuelles. Il réussit le tour de force de traduire simultanément la frénésie de notre mode de vie ou tout doit aller toujours plus vite et cette étrange langueur qui nous saisit, cette frénésie apparente masquant mal l'engourdissement qui s'empare de nous.
A mon sens, ce "Voyage" s'impose comme la plus grande réussite de Yokoyama. On y retrouve ce graphisme froid et stylisé a l'extrême qui tient parfois plus du dessin industriel que de la bande dessinée, l'absence complète de dialogues, des effets graphiques souvent originaux quoique, parfois, l'auteur me semble se complaire dans une certaine 'virtuosité', réutilisant a l'envi les mêmes trouvailles, jusqu'à lasser. Mais si ces 200 pages paraissent répétitives, elles mettent d'autant plus en exergue l'aspect morne et répétitif de la vie moderne. Du métro-boulot-dodo, Yokoyama ne garde que le métro, mais étire a l'infini pour mieux démontrer a quel point ce train-train quotidien est vide de sens. Pointu, mais remarquable. |
thyuig
| Un homme prend le train. Non, deux hommes. Puis trois. Les hommes prennent le train. Non, l’Homme prend le train. L’Homme voyage. Sédentaire aujourd’hui l’Homme demeure migrant malgré tout.
Ce préambule illustre, je pense, assez bien le propos de Yokoyama. Celui de signifier au moyen de cette forme universelle qu’est la ligne (droite, courbe, vectorielle), la façon dont notre monde contemporain existe par son chemin, son cheminement.
Il n’y a dans cette bande dessinée aucun dialogue, aucune voix off, le dessinateur se contentant de montrer, de donner à voir.
Et justement, nous voyons cette ligne et la multitude de ses représentations. Qu’elle soit au sens propre la hauteur d’un bâtiment ou encore qu’elle dessine les contours d’une fenêtre, d’un escalier, cette ligne qui désigne à mesure de répétition l’effet de vitesse, celui de la pluie, ou le lit d’une rivière qui s’écoule, Yokoyama l’apprivoise, l’encadre dans des cases et comme il est dans la nature de la ligne d’être infinie, il la met en mouvement.
Ce « Voyage » est donc un prétexte pour explorer le vecteur ligne. Il est bien sûr formel comme nous pouvons tous facilement le concevoir mais aussi social et c’est là que l’efficace limpidité du dessin de Yokoyama fait merveille. En suggérant ses personnages par un ensemble de motifs simples, la coupe de cheveux, les vêtements, la taille des yeux, l’auteur les relie les uns aux autres dans leur apparente disparité. Tous différent mais se ressemblent. L’élément liant est ce train que tous empruntent au travers de cette « ligne » de chemin de fer qui ne mène comme par évidence qu’à une autre forme d’infini, celle de la sphère.
D’une nature exigeante, le travail de Yokoyama fonctionne à la manière d’une mécanique bien huilée. Conceptuel dans son approche, ce labeur n’emploi pas moins le médias bande dessinée à sa juste valeur. Si l’aspect narratif, épique, romanesque est volontairement mis de côté, la représentation du monde dans lequel nous vivons est bien quand à elle la vision d’un auteur affirmé, celui-ci nous soumettant une interprétation du nomadisme sédentaire dans lequel figure l’Homme sans s’en douter. L’effet migratoire évident par l’emploi du train renforçant bien entendu la linéarité volontaire de l’expression de l’auteur, qui semble assumer parfaitement la re-productivité de son dessin, son itération perpétuelle.
Au final, une bande dessinée exigeante, sans compromis mais dont le graphisme glacial ne doit pas faire oublier la très grande qualité, au croisement des arts plastiques et conceptuels.
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