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| Des lendemains qui déchantent
1930, en Caroline du Nord. La Grande Dépression ravage le coeur et détruit la vie des hommes. Les Cry doivent se résoudre à vendre leurs pauvres terres et prendre le chemin de l'exode, en quête d'un meilleur avenir.
Sept ans plus tôt, Billy, le fils aîné des Cry, avait assisté à un meurtre. Le meurtrier, un voisin, lui avait fait passer le goût de la curiosité en lui broyant la main. Depuis, il a la rage chevillée au corps. Depuis, il instille le venin de la haine dans l'esprit de son frère Milton.
Une force de la nature, Milton, un costaud capable de réduire en miettes n'importe quoi et n'importe qui. Mais un gentil, un doux, un simplet. Qui rêve. Toutes les nuits, Milton rêve d'aider sa famille, rêve de laver les affronts qu'elle subit quotidiennement, rêve de tuer... Mais a-t-on jamais vu les rêves se réaliser? |
  Coacho
| Un sujet revient souvent dans les discussions des passionnés de BD : les influences.
Ca va de la filiation, au vulgaire pompage, en passant par des phases d’emprunt, d’hommage ou de référence.
Mais il faut éviter ces comparaisons faciles qui proviennent de notre inévitable besoin de comparer, de compiler, de référencer. Il faut voir certains univers comme étant la digestion de ses influences et l’affranchissement de l’auteur qui construit, avec des mots qui peuvent déjà exister, sa propre histoire.
Les rêves de Milton ont une résonance pour le lecteur que je suis…
Non, Billy n’est pas Jamel Debbouze et sa main, il la cache pour une raison que je vous laisserai découvrir en lisant l’album !
Mais trêve de plaisanterie… Je disais donc que l’univers développé dans ce tome 1 de ce qui s’annonce comme un magnifique récit post-dépressionnaire, est très proche de ce que pouvait écrire Steinbeck. Peut-être suis-je en train de risquer un amalgame facile et c’est pour cela que je vais m’en éloigner.
Quoi qu’il en soit, comme le célèbre écrivain avait l’habitude de planter son décor, Sylvain Ricard et Fred Féjard nous emmènent dans ces années troubles qui virent l’avènement d’un communisme, qui voulait plus d’humanité et tentait d’en offrir avec sa révolution de 1917, et où le capitalisme montrait ses faiblesses et était sur le point de mourir avec la crise de 1929.
En se plaçant en 1930, les auteurs allaient nous décrire des conditions de vie effroyables pour les hommes et femmes qui avaient subi si violemment cette tragique récession.
Les mœurs américaines en étaient chamboulées et, dans la boue, dans la saleté, dans la misère, nous découvrons des êtres humains prêts à tout pour survivre.
A la limite de l’étouffement, de l’agonie, tout est bon pour survivre.
Les cases de la page 14 suggèrent d’ailleurs fortement ce qu’une mère est prête à faire pour subvenir aux besoins de ses enfants… malgré les remords et la culpabilité que la démonstration de ce sacrifice implique…
Et cette situation continue de montrer les hommes sous des travers souvent plus bestiaux, avides et prêts à la plus grande violence. Certains profitent de cette détresse pour s’enrichir à peu de frais, forçant ces pauvres gens à délaisser le peu qu’ils ont, et auquel ils sont attachés (p. 36 et les adieux de la mère), pour croire en quelque chose de meilleur, un ailleurs qu’ils espèrent plus prospère.
L’ironie du sort voudra que les cultures asséchées du père de Billy, le jeune homme qui fait office de personnage central, verra enfin la pluie tomber lorsqu’il se sera séparé de ses terres (p. 20 à 23)…
Dans ce voyage qui doit les emmener ailleurs, la galère, mais aussi la mort, planera durant toute cette migration (voir p. 42 la présence des corbeaux au campement, discrètement placés).
Mais, au milieu de ce désespérant tableau, évolue Milton, sorte de grand gaillard rêveur et simplet (puis-je le comparer au Lenny de Steinbeck ?! ;o)) qui apporte sa fraîcheur et sa candeur comme une éclaircie tangible. Cette bonne humeur et cet amour qui émane du personnage tranche nettement avec la souffrance et la frustration de Billy, son frère, handicapé par une blessure qui résulte d’un événement qu’il n’aurait jamais du voir…
Cette désillusion, ce peu d’espoir en l’avenir, ce fait d’être désabusé agira comme un poison dans les veines de ce jeune homme qui se livrera à quelques écarts et le poussera à quelques errances en manipulant les sentiments de Milton et lui faire faire des choses répréhensibles…
Ce qui est formidablement orchestré puisque l’ambiguïté réside avec un Canadien qui accompagne les pionniers…
J’en ai peut-être déjà dit beaucoup trop mais j’ai eu tellement de plaisir à me replonger dans ces univers proches des « Raisins de la colère » ou « Des souris et des hommes » que je me suis laissé aller !
Le dessin est sale, poisseux, anguleux, volontairement témoin de cette misère dont il est question et si parfois il souffre d’imperfections, ou de défauts que certains auront déjà cités, il n’en est pas moins idéalement représentatif de l’ambiance générale de l’histoire.
Quelques défauts qui m’ont interpellés peut-être ?
Billy qui, lorsqu’il subit son agression, ne hurle peut-être pas assez (p. 6) ?
Et peut-être la bulle en trop page 21 « Tant que tu garderas notre petit secret… » car je crois que venant de lire les pages précédentes, le lecteur avait très bien la situation en tête et pouvait se passer de cette bulle, les autres étant plus fines dans l’allusion et auraient été suffisantes en tant que telles.
Mais c’est là tout ce que je pourrais reprocher à cet album qui m’a, vous vous en doutez, emballé !
Il ne nous reste plus qu’à suivre ce papillon qui détonne par ses couleurs dans la vie grise des personnages et espérer que l’effet papillon, même si on se doute qu’il sera terrible, ne soit pas trop tragique… Mais j’en doute…
En attendant de lire cette fin poignante, je remercie les auteurs, et Sylvain Ricard en particulier pour le reste de son travail, de nous donner de si bons livres avec une telle qualité… C’est chez « Aire Libre » ? Ah oui, c’est normal alors ! ;o)
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Indy
| Imaginez notre Quasimodo national au pays des "raisins de la colère" et vous obtenez "les rêves de Milton", oeuvre forte, violente et belle à la fois. Sylvain Ricard nous gratifie, une fois de plus, d'une histoire forte et marquante, mise en relief d'une façon magistrale par Maël, qui nous avait habitué à un dessin plus coloré avec "Tamino" chez Glénat. La période de la Grande Dépression nous a fourni donc, outre les meilleurs films de Chaplin, mais aussi cette bande dessinée, violente et réaliste qui nous entraine vers les plus bas desseins de l'homme. Je regrette une seule chose à propos de cette histoire, c'est que la collection "Aire Libre" de Dupuis n'ait pas offert aux auteurs la possibilité de traiter leur histoire sous forme de one shot (même en un volume de 80 pages, cela restait possible).Mais Sylvain Ricard m' a confié récemment que le prochain tome comportera 70 pages- et sortira en octobre 2006-; donc un one shot de près de 140 pages n'était guère envisageable chez l'éditeur.
Toutefois, bravo pour le dessin. Bravo à Sylvain Ricard et à Frédéric Féjard pour le scénario accrocheur. |
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