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  herbv
| Le lieutenant Yamada est un policier qui ne s’est jamais remis de la perte de sa fille, Kozue, il y a plusieurs années. Alors qu’ils étaient en vacances à la mer, elle s’était noyée en se baignant sur le bord de la plage. Son épouse ne lui a jamais pardonné son défaut de surveillance, et lui non plus. Vivant seul dans un appartement minable de la ville de Tokyo, il se contente de faire son boulot : flic raté à la police des mœurs.
Shiori Umino est une lycéenne de 16 ans. En rupture avec l’école et fugueuse, elle se fait attraper lors d’une descente de police dans un clandé se faisant passer pour un salon de massage. Elle était en compagnie de nombreuses autres lycéennes venues se prostituer. Il faut dire que la vie n’est pas facile pour elle, avec sa mère célibataire qui ne perd jamais une occasion de la rabaisser ou de la battre. Peu de temps après, Yamada voit passer Shiori dans la rue, seule sous la pluie. Il cherche alors à comprendre ce qui arrive à la jeune fille qui le fascine ; il faut dire qu’elle ressemble énormément à Kozue...
Mauvaise herbe est la dernière série en date de Keigo Shinzo. Elle vient de s’achever au Japon avec la sortie du dernier chapitre fin août dans le magazine seinen de Kodansha Morning Two, la série totalisant ainsi quatre volumes. Le mangaka l’a achevée tout en allant à l’hôpital, un cancer lui ayant été diagnostiqué en avril, ce qui a causé une courte interruption de la prépublication. Cela ne l’empêche pas de travailler à une nouvelle histoire avec son responsable éditorial. Keigo Shinzo est encore jeune, il a eu 33 ans en janvier 2020. Diplômé d’une école d’art tokyoïte, il a débuté professionnellement alors qu’il était encore à l’université. Après s’être fait remarquer dans le concours de jeunes talents « Spirit » de Shôgakukan, il réalise pour l’éditeur quelques récits courts avant de s’attaquer à sa première série (courte, elle aussi), réalisée entre 2009 et 2010 : L’Auto-école du collège Moriyama (disponible en français au Lézard Noir, 1 volume).
À la différence des autres titres de l'auteur que le Lézard Noir nous a permis de lire, Mauvaise herbe ne contient aucun humour. Les personnages sont (toutes et tous) au mieux médiocres ou au pires immondes dans leur comportement. Que ce soit le capitaine de police qui abuse de ses pouvoirs pour profiter des peep-shows du quartier ou les inconnus qui hébergent le temps d’une nuit une Shiori désespérée afin d’assouvir leurs fantasmes de domination, sans oublier les clients du bordel du début de l’histoire, Keigo Shinzo nous décrit un Japon glauque, pour ne pas dire désespérant. Il en profite pour étaler au cours des différents chapitres du premier tome la face sombre de Tokyo. Il s’agit d’une réalité cachée, volontairement occultée par le monde politique et les médias au Japon.
Depuis de nombreuses années, le nombre d’adolescent·e·s en rupture familiale ne cesse d’augmenter. Une ONG japonaise, Orange Ribbon, estime que plus de 150 000 enfants ont été victimes de mauvais traitements en 2018. Ces jeunes qui fuient un foyer toxique sont des proies faciles pour l’industrie du sexe, surtout les filles de 10 à 18 ans. Lorsqu’elles errent seules la nuit, elles sont repérées par des rabatteurs qui leur promettent un emploi, un toit et de la nourriture. Elles peuvent être aussi victimes de détraqués, de prédateurs sexuels qui ne recherchent pas seulement leurs « proies » sur les réseaux sociaux et les sites de discussions.
C’est très vraisemblablement ce qui est arrivé à Shiori lorsque nous la voyons pour la première fois dans un bordel miteux. En effet, cette hypothèse est confirmée par sa situation familiale : sa mère célibataire la rabaisse constamment et va jusqu’à la battre régulièrement. Étant donné que Shiori ne veut pas rentrer chez elle et qu’elle n’a pas d’argent, elle est fragilisée et influençable au point de tomber dans la prostitution. Malheureusement, Keigo Shinzo n’invente rien, il montre simplement une réalité crue, celle du « JK Business ». Il s’agit d’une pratique (« Joshi Kosei ») où des hommes, souvent des salary men qui peuvent être mariés et avoir un enfant, semblant bien sous tous rapports, payent des lycéennes pour des promenades (« JK osanpo »), des massages (« JK rifure »), etc.
Il y a aussi des célibataires (ils sont de plus en plus nombreux, et plus ou moins marginaux du point de vue de la société japonaise) qui cherchent simplement à avoir des relations sexuelles, même si celles-ci sont tarifées. Inutile de dire qu’il s’agit là d’un domaine florissant. Une autre ONG, Colabo, estime qu’au moins 5 000 adolescentes seraient engagées chaque année dans la seule ville de Tokyo par des entreprises plus ou moins informelles relevant du « JK Business ». Il s’agirait d’étudiantes, de lycéennes, et même parfois de collégiennes. Le mangaka décrit bien ces lieux de prostitution tokyoïtes qui sont le plus généralement minuscules. Contrairement aux bars à hôtesses, il s’agit de simples pièces divisées en petits salons séparés les uns des autres par des rideaux et où une musique puissante cache plus ou moins bien les ébats clandestins et illégaux qui s’y déroulent. |
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