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Kamui Den
Dessin et scénario : Shirato Sanpei

Kamui Den, terminé


Volume 1 - 2010

Volume 2 - 2011

Volume 3 - 2011

Volume 4 - 2012

 

1 avis


Matrok
Sampei Shirato était, jusqu'en 2010, un inconnu pour le public francophone, alors qu'il est une référence incontournable au Japon, l'un des maîtres incontestés du gekiga, ce courant alternatif du manga qui, via le magazine Garo et les bibliothèques de prêt, a insufflé un souffle contestataire sur la bande dessinée japonaise des années 60-70. C'est donc incontestablement un événement très important que la publication de Kamui Den en français. Cependant, au milieu de la surproduction ambiante, et avec l’essoufflement relatif de la mode du manga en France, il est passé un peu inaperçu. En cette année 2010, Olivier Besancenot, ex-porte-parole relativement populaire d'un parti d'extrême gauche français, a préfacé Le Capital en manga, une horreur commerciale très laide, mal fichue et sans aucune légitimité historique ni artistique... Qui s'est vendu un peu pourtant à un public avide de titres contestataires en ces temps de crise du capitalisme. Mais le grand public n'a pas su que s'il voulait lire du manga marxiste, le mieux était de lire Kamui Den !

Manga marxiste ? En effet Kamui Den l'est incontestablement et ouvertement. Mais le résumer à cela serait aussi vain que de le résumer par exemple aux genres gekiga, historique, ou de samouraïs, auxquels on pourrait le rattacher. C'est une grande œuvre épique, un récit lent, polyphonique, qui prend le temps de développer un univers immense, de mettre en lumière tous les rouages de la société féodale des débuts de l'ère Tokugawa. Et cela, chose inhabituelle, sans se centrer sur une catégorie particulière de la population : c'est tous les habitants d'une région reculée du Japon, le fief de Hioki, qui sont les personnages de cette histoire : aristocrates, guerriers, paysans, domestiques, parias, vagabonds, jusqu'aux bêtes sauvages. Le récit suit tantôt l'histoire de Shosuke, fils de domestique cherchant à devenir un paysan indépendant, celle de Ryunoshin, fils de guerrier pris dans une terrible intrigue politique, celle de Kamui, jeune paria qui deviendra un ninja, et (dans le premier tome du moins) celle d'un loup blanc rejeté par sa meute. Tous, des individus en butte à des déterminismes écrasants : ceux de la nature, hostile, et ceux de la société, impitoyable. Ils choisiront tous la lutte. Et malgré leur conviction solidement ancrée, celle de l'auteur bien sûr, qui est que seule la lutte paie, ils apprendront à leurs dépens le revers de cette morale : elle ne paie pas souvent, et les défaites ont forcément un goût amer, et ces défaites sont inévitables tant l'inertie de la société féodale est grande. Cette fresque du Japon médiéval, d'une justesse historique rare grâce à ce décorticage sociologique qui la met à nu, est servie par un dessin qui, plus encore que dans tout autre manga, semble hériter en droite ligne des maîtres du dessin de cette époque Tokugawa, qui fut celle aussi de l'ukiyo-e, ces estampes qui ont immortalisé l'image du Japon de cette époque d'autarcie culturelle du Japon. Le message philosophique assez pessimiste de cette œuvre était bien sûr un avertissement pour les jeunes génération du Japon de la fin des années 60 et du début des années 70, qui, à la fin d'une courte période d'agitation d'extrême gauche, allaient plonger dans des années de triomphe de l'idéologie capitaliste... jusqu'aux crachs des années 90/2000. C'est pourquoi je parle de légitimité historique et artistique incontestable ici : ce récit n'est pas vain, ni univoque. Il y a là-dedans un formidable souffle épique et romanesque, il y a surtout le livre phare d'une génération, et l'émotion que donne sa lecture n'est pas seulement d'empathie avec ces personnages tragiques, mais avec le narrateur Sampei Shirato, témoin pathétique des désillusions de son temps.

On peut pourtant trouver ces bouquins rebutants par bien des aspects. Je leur trouve moi-même des côtés presque repoussants : le récit est plein de grosses ficelles et de rebondissements improbables, il est d'une violence extrême parfois dessinée sans la moindre pudeur, et si le dessin de Sampei Shirato est d'une grande beauté sur le plan du style, les scènes d'action manquent parfois de ce que j'estime être la qualité première en bande dessinée : la lisibilité... De plus les textes (récit, dialogues, commentaires) sont en eux même sans grande qualité littéraire (peut-être la traduction est-elle en cause mais j'en doute). Le récit en sort donc alourdi, et la lourdeur physique des gros pavés de 1500 pages de l'édition française renforce cette impression - bien que ce choix éditorial, hélas, soit peut-être justifié économiquement.

Malgré ces réserves sérieuses, c'est une série à connaître, indispensable à lire si on s'intéresse à l'histoire du Japon aussi bien ancien que moderne, et à conseiller certainement aux amateurs d'histoires de samouraïs et de ninjas en raison de l'angle de vue tout à fait inhabituel donné ici.
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