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interview accueil interview Interview de Boulet par cubik Interview de Boulet, bloggeur émérite, auteur de plusieurs séries dans la collection Tchô, et nouveau dessinateur de Donjon Zénith.
Bonjour. Tu es passé par les Beaux-arts et les Arts Déco. Pour toi, le passage par l'école était obligatoire?
Boulet: Bonjour. Je pense que ce n'est pas un passage obligatoire dans la mesure où plein de gens sont autodidactes et très talentueux. Ils y arrivent sans avoir besoin de cette béquille. Mais je ne pense pas que j'étais quelqu'un de spécialement doué à la base. J'ai eu besoin de la formation scolaire. Elle m'a permis totalement de me déniaiser au niveau du dessin et de la narration. Sans ça, j'aurai pu peut-être arriver à faire de la bd un jour mais j'aurai vraiment mis 20 ans de plus. Ca m'a vraiment permis d'accélérer les choses. Je pense que ça peut être très utile pour certaines personnes.
Dans une interview précédente, tu reprenais les propos de Simon Hureau qui disait que, parmi les auteurs, il y a les doués et les acharnés. Te considérant comme un acharné, tu aurais pu passer outre.
B.: Oui, je pense que j'aurai continué. Mais là, en dessin, on apprend beaucoup, en narration aussi. On acquiert du métier au fur et à mesure. Il y a des gens qui arrivent à s'enseigner à eux mêmes, des autodidactes. Je n'en suis pas forcément un. J'apprends au contact des autres. Etre en école, ça m'a permis d'être en contact avec plein de gens qui apprenaient et donc, qui me montraient des chemins pour apprendre. J'étais élève en même temps que Reno, Lisa Mandel, Lucie Albon, Natacha Sicaud, Matthieu Sapin, Erwan Surcouf, de plein de gens comme ça qui travaillent tous dans la bd maintenant. Et quand tu les côtoies, ça enrichit forcément énormément.
Tu as déjà une douzaine d'albums derrière toi. Te considères-tu encore comme un jeune auteur?
B.: Oui, vraiment. J'ai toujours travaillé en dilettante. Je ne me suis pas posé énormément de questions. J'ai fait mes albums comme ils venaient, comme on écrit au fil de la plume.
Je n'ai jamais eu l'impression de me pencher sur un métier. J'ai essayé d'apprendre des choses au niveau du dessin, de la technique, de toujours évoluer mais je me rends compte que je l'ai fait d'une manière très paresseuse. Dès le moment où je travaille avec quelqu'un d'autre, que ce soit avec Lucie Albon à la Boite à bulles ou avec Joann et Lewis pour Donjon, je me rends compte qu'il y a énormément de compromis à faire, de travail d'équipe à trouver. Et je n'en avais pas l'habitude... Donc pour moi, je suis vraiment un jeune auteur qui n'a jamais vraiment appris à faire un album de bd. J'ai juste fait mon truc dans mon coin, et ça a été publié.
Justement, la reprise de Donjon est un gros challenge?
B.: Non, ce n'est pas un challenge. Ca m'a fait plaisir de le reprendre, simplement parce que j'adore cette bd. Je la suivais depuis le début. Je m'entends bien avec Lewis. J'étais content de bosser avec lui parce que c'est quelqu'un que je respecte énormément dans le monde de la bd. Et c'est surtout un univers qui m'attirait énormément. On me dit de reprendre Donjon, j'ai l'impression qu'on me prête un coffre à jouets. Je suis content. Je ne le vois pas comme un challenge parce que je ne veux rien prouver. Je veux juste me faire plaisir. Et je me dis que si j'y arrive, ça fera plaisir à d'autres gens.
Il y a quand même de l'attente derrière.
B.: Oui, mais je ferai ce que je sais faire. Après, il y aura forcément des mécontents, parce que je serai bien incapable de satisfaire les fans purs et durs de Trondheim. Alors, il y aura des gens qui auront la curiosité de découvrir un nouvel auteur. D'autres qui, connaissant mon travail, vont être content de le retrouver dans cet univers. Mais c'est certain qu'il y aura des mécontents. Je m'en fais pas pour ça, je m'en fiche.
Dans tes interviews, à part peut-être pour le Voeu de Marc, tu désignes souvent les enfants comme tes premiers lecteurs. C'est un choix?
B.: Non, ce n'était pas un choix. C'était plutôt une espèce de conséquence. Je n'ai jamais dessiné pour les enfants. J'ai toujours dessiné pour moi, que ce soit la Rubrique scientifique, Raghnarok ou le Miya. Ce sont des bd où je ne mets pas de limite. Je ne suis pas naturellement trash, ni très dérangeant dans mes scénarios. Ils ne sont ni très violents, ni très axés sur le sexe, ni quoi que ce soit qui puisse vraiment choquer le lecteur. Donc, quand je les ai présentés à Glénat, on m'a juste dit "Mets des enfants à la place des adultes et puis fais-en de la bd pour enfants". Ca ne changeait rien à mon scénario. J'ai dit oui.
Pour la Rubrique scientifique par exemple, c'est pour ça que les personnages se vouvoient. A la base, ils étaient adultes.
Par voie de conséquence, mes lecteurs se sont retrouvés être des enfants. Mais à la base, j'écris pour tout le monde, et surtout pour moi en premier.
D'ailleurs, à part peut-être dans les Womoks, et encore, ça se discute, tes personnages ne sont pratiquement que des enfants.
B.: Dans Raghnarok, plus que les dragons et l'heroic-fantasy, le thème était l'enfant, le passage à l'age adulte. C'est la façon dont Raghnarok qui est un petit dragon va se faire entraîner par sa mère à devenir un dragon adulte. C'est un peu la symbolique de l'adolescence. C'était ça l'intérêt de l'histoire, pas de raconter des histoires de dragons.
Après, les personnages, c'est difficile à définir. J'écris des histoires et les personnages sont les moyens de les cristalliser. La Rubrique scientifique, ce serait des adultes, ça n'aurait pas la même... "sonorité" si je puis dire. Ca n'aurait pas la même ambiance. Mais les histoires pourraient fonctionner quand même. Et toutes les histoires que je fais sur Internet par exemple, c'est moi le personnage principal.
C'est un peu pareil. Ton personnage, on lui donne 10 ans de moins. Ca fait un peu comme les super-deformed des mangas. Ca fait très jeune.
B.: Je ne sais pas. C'est peut-être que j'ai une écriture plus enfantine. C'est peut-être ce qui caractérise ma façon d'écrire les histoires. C'est bien possible.
Tu as aussi déjà dit que tu souhaitais faire des séries d'aventure un peu plus au premier degré ou des séries plus intimistes. Où en es-tu avec tout ça?
B.: La série intimiste, finalement, je l'ai plus ou moins faite sur Internet, sous une autre forme. Sur mon blog, ce sont des histoires intimistes puisque je raconte des histoires inspirées de ma vie avec un personnage qui me représente et qui est mis en scène. Toutes les histoires du quotidien que je veux raconter, j'ai une occasion de le faire sur le net et je ne me sens pas le besoin d'en faire un album, je trouve que la ligne temporelle du blog est plus adaptée pour ça.
Pour la grande aventure et tout, j'aimerais toujours... J'y ai réfléchi. J'ai fait des croquis. Pour le moment, je n’ai pas envie de les montrer, c’est pas au point. De toute façon, je n’ai pas le temps. Donc je le garde sous la main. Je le construis petit à petit dans ma tête. Quand j'aurai vraiment envie de le faire, je le ferai.
Question à 2 balles: est-ce que ton site web sera fini un jour?
B.: Non. Je ne pense pas pour le moment. Il faudrait que je m'en occupe pendant longtemps et je n’ai pas le temps.
Tu es presque plus connu par ton blog que par tes albums. Est-ce que c'est un problème?
B.: C'est curieux. Ce n'est pas tellement un problème pour moi, parce que ce qui compte, c'est d'écrire des histoires et qu'elles soient lues. Ca me fait regretter que je ne sois pas payé pour mon blog, parce que ça me permettrait de vivre... Mais non, ce n'est pas un problème. Je suis content de savoir que j'ai plein de lecteurs. Je pense que ça vient juste du principe même du blog. C'est un média qui a encore une certaine image de « vulgarité », liée à l’effet de mode qu’il représente. Quand on parle de mes bandes dessinées sur le net, personne n'en parle comme d'un travail. On m'en parle comme si c'était un passe-temps rigolo. Mais pour moi c’est un aspect aussi important que les autres de mon travail. C'est un media qui a ses contraintes et ses exigences. C'est un exercice de style à part entière.
Des auteurs de l'Association ou autre vont publier leurs carnets de croquis ou sortir des livres un peu griffonnés simplement parce qu'ils vont s’attacher à l’aspect « jeté », et ils vont en faire de très beaux livres : pour moi, on peut faire la même chose sur Internet. Jeter des choses sur Internet, ce n'est pas les jeter dans le vide. Ce n'est pas moins intéressant parce que ce n’est pas payé. C'est un travail aussi, qui doit être considéré comme tel.
Ca vient peut-être aussi du fait que quand tu parles de tes travaux bd, surtout de tes collaborations, tu es très exigeant. Alors que quand tu parles du blog, tu dis que tu te relâches, tu te permets des choses que tu ne ferais pas ailleurs, des expériences. Tu as l'air d'être plus lâché sur ton blog.
B.: C'est complètement le cas. Mais la grande remise en question là-dessus, c'est que j'ai des amis auteurs de bd qui pensent que l'aspect lâché de mon travail va être le plus intéressant. C'est un truc qui, au départ, me vexe un peu. Se dire que quand on s'applique, finalement, c'est moins bien. Mais je suis forcé de reconnaître qu'ils n'ont pas forcément tort et que c'est un point de vue. L'aspect lâché d'un travail n'est pas l'aspect inférieur en qualité. Quelque fois, il y a peut-être des gens qui sont meilleurs pour se lâcher, pour l'impro que pour la construction. Il y a peut-être de très bons acteurs en impro qui seraient très mauvais avec un texte construit. C'est peut-être pareil pour moi. Je n'en sais rien.
Ca ne t'amène pas à te relâcher dans ton travail édité?
B.: J'aime faire les deux. Donc si. Mais de toute façon, les deux s'influencent. Je pense qu'il y aura un équilibre qui va se trouver tout seul. Mais je n’ai pas envie de le forcer dans un sens ou dans l'autre. Je n'ai pas envie de faire des albums qui soient complètement lâchés parce que j'aurai l'impression de me priver de quelque chose. J'aurai l'impression de me foutre un peu de la gueule du monde aussi. Et je n’ai pas non plus envie de passer ma vie à dessiner des perspectives à la règle. Ca ne m'intéresse pas non plus. Donc j'essaye juste de trouver l'équilibre. Et ce n'est pas toujours possible, pas toujours facile.
Trondheim dit de toi qu'il est content de t'avoir sur Donjon parce que comme lui, tu dois faire des efforts pour dessiner. Est-ce qu'il en a profité pour t'impliquer un peu plus sur Donjon?
B.: Non, je n'ai pas eu d'implication dans le scénario. Juste des détails vraiment minimes comme donner mon avis entre deux noms de persos qu'ils proposaient. Mais je trouve très important que l'histoire n'appartienne qu'à eux. J'aurai refusé de m'impliquer dedans. De toute façon, je pense qu'ils ne le proposent à personne, et que c'est une très bonne idée. Pour qu'il y ait le moins de compromis à faire, pour que l'histoire soit la plus intéressante, il faut qu'il y ait le moins de monde dessus.
Tu as un avis sur la présence des people à Angoulême? Tu auras peut-être Mimi Mathy en face de toi, sur les stands demain.
B.: Ca m'énerve. Je n'ai rien contre Mimi Mathy. Je serai incapable de dire ce qu'elle fait, c’est peut-être bien... Mais je n'aime pas cette logique de produit dérivé où on se sert d'un nom pour vendre quelque chose sans aucun souci de la qualité. Je ne vais pas dire du mal des dessinateurs qui ont travaillé sur des projets de ce genre-là, il faut bien vivre et ils ont bien raison de profiter de ce genre d’offres. Mais il y a eu des tas de projets dérivés de la télévision qui étaient des catastrophes visuelles. On voit après les gens qui les ont inspirés et qui n'ont absolument rien à foutre dans le monde de la BD. Ils sont là pour vendre leur gueule une fois de plus, pas pour faire de bons albums…
Tout à l'heure, il y avait une émeute devant les bulles et on voyait Patrick Bruel qui faisait des baisers à la foule avant de monter dans sa bagnole aux vitres teintées. On avait envie de lui dire "tu ne crois pas que t'en fais trop, gros bouffon?". Ce n’est pas sa place. Angoulême devrait être l’endroit où on parle de BD, pas de starlettes sur le retour. J'aimerais mieux qu'on parle moins de Patrick Bruel et plus des fanzines. Qu'on parle moins de Mimi Mathy et plus de l'expo Choco Creed à côté où ils font des trucs absolument magnifiques, du sol au plafond, où on a envie de tout acheter quand on est à l'intérieur. Il y a des caméras de télé qui passent et au lieu de filmer le stand qui aurait bien besoin d'un peu de pub, ils vont focaliser sur le has been d’à côté qui a fait une bande dessinée bancale d'un film pas fait. C'est énervant.
Tu crois que les blogs viennent un peu combler ce manque? Pour certains, c'est presque la seule vitrine qu'ils leur restent.
B.: Je ne limiterais pas ça au blog. Je dirai Internet d'une manière générale. C'est un média encore assez vierge. Il n'a pas de stars, de tête d'affiche. Mais il y a des gens qui arrivent à en surgir, comme le cas Frantico. Tout d'un coup, un type arrive de nulle part, il dessine bien, et il arrive à rallier les foules à ce qu'il fait. Et on a un dessinateur que tout le monde lit et dont tout le monde parle. Il y en a d'autres, comme Cecily, qui arrivent à faire un album. On se rend compte qu'on a un outil génial pour faire que des gens qui n'ont aucun moyen d'imprimer, de diffuser et qui n'intéressent pas les éditeurs, petits ou gros, puissent avoir une tribune et être remarqués. Ces gens-là, rien que par le bouche-à-oreille, peuvent être connus. Je trouve qu'on sous-estime la portée de ce media. Je pense qu'il va devenir très important.
Merci.
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