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| Une aventure de Spirou et Fantasio - Le groom vert-de-gris |
1942. Bruxelles est occupé. Spirou, groom au Moustic Hôtel qui a été réquisitionné par les Allemands, et Fantasio, journaliste au quotidien LE SOIR "volé", se reprochent mutuellement leur trop grande proximité avec l'Occupant.
Mais ce que Fantasio ignore, c'est que Spirou, sous le nom de code d'écureuil wallon, est en fait un membre très actif de la Résistance.
Le colonel Von Knochen, principal locataire du Moustic Hôtel, s'apprête justement à piéger un des plus importants réseaux de la résistance belge.
Spirou parviendra-t-il à empêcher ce diabolique coup de filet ? Et réussira-t-il à échapper aux soupçons du colonel et aux griffes des Nazis ?
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  Pierre
| L’idée est formidable : 1942, la Belgique est occupée, l’amitié de Spirou et Fantasio déchirée par les griffes de l’Histoire ; l’un, dissimulant son appartenance à la Résistance est répudié par l’autre qu’il le croit passé à l’ennemi. Quel postulat passionnant, porteur d’un ressort véritablement dramatique !
Yann extrait de ses tiroirs ce projet vieux de plus de vingt ans qu’il avait élaboré avec Yves Chaland pour donner aujourd’hui un scénario malheureusement poussif et mal fichu, comme un remake belge de La Grande Vadrouille. De cette matière si belle, passée à la moulinette de sa fausse impertinence de trublion fossilisé, il ne reste pas grand-chose, sinon un ramassis de clichés agglomérés à un tombereau de références vides de sens. On est bien loin du sujet…
Voilà pourtant le genre d’album qu’on aurait tant aimé aimer. « On », c’est-à-dire tout lecteur adulte qui éprouve encore quelque affection pour le petit groom et son grand dépendeur d’andouilles de copain. Tout de même, il y a cette situation inouïe où un éditeur donne au gratin de la profession carte blanche pour proposer la vision de son Spirou ! Et cette chance, Yann l’a eu deux fois, et deux fois, elle lui a échappé…
Le tombeau des Champignac avait déjà démontré l’incapacité quasi congénitale de Yann à transfigurer le mythe de Spirou, nous n’y reviendrons pas. Mais cette opportunité formidable qui lui est donnée de réinterpréter les premiers temps du personnage à lumière d’un contexte historique captivant, qu’en fait-il ? Obnubilé par ses marottes, il gâche son sujet, l’aborde avec une balourdise peu commune, celle d’un fan boy sénile, d’un ancien premier de la classe récitant une leçon que personne ne veut entendre. C’est que Yann ne nous épargne rien de ses obsessions : belgitude, grande Histoire revue par le petit bout de la lorgnette, collection de références culturelles gratuites. Le résultat est catastrophique.
De la couleur locale donc. Yann est un Breton né à Marseille qui aurait voulu être Belge. Voilà tout son drame intime. De là, ces dialogues fabriqués en faux parler bruxellois, et on pense au temps qu’il a du passer vainement à farcir son texte de « fourt », de « gotferdom » et autres « alleï ». On s’y croirait presque, une fois ! Cela vaut bien le Québec de Laurent Gerra dans sa reprise de Lucky Luke… Pour ce qui est de l’occupant, Yann n’est pas en reste : il nous offre des Allemands stupides qui s’appellent Helmut et qui s’expriment en lettres gothiques comme dans Astérix, et ça meurt en criant « Au secours mein Führer ! » comme dans Papa Schulz, voilà qui est terriblement irrévérencieux !
Soucieux de faire montre de son immense culture de rat de bibliothèque, notre « ketje » de scénariste nous livre une festival de clins d’œil « for the happy few ». La cuistrerie de Yann en la matière est sans limite : il faut qu’il mette tout. Pour parler en lieu commun, il nous fait un véritable inventaire à la Prévert. Il y a donc des rues Jo Almo, Davine, Jean Darc, Joseph Gillain ; il y a des capitaine Blake, des docteur Müller, des professeur Samovar, des Jean Doisy, des Maurice Leblanc… Comprenne qui peut. Dans cette démesure le comble est atteint dans la grande case de la planche 27 où s’accumulent péniblement Bob Fish, le jeune Albert, Hergé, Jacobs, Van Melkebeke, Quick et Flupke, oncle Lambique et tante Sidonie, plus quelques obscures allusions à Franquin. N’en jetez plus ! Ce n’est pas Spirou c’est Où est Charlie.
Si l’on l’examine ce travail à l’aune du critère purement technique, le bilan est maigre : Construction dramatique minimale, psychologie des personnages zéro. Yann n’est qu’un rafistoleur de clichés, un rapiéceur de vieux habits portés par d’autres. Pour parvenir aux soixante et unes pages canoniques, que de dilution, d’importation, de citations ! Ainsi, nous faut-il endurer un extrait entier de la Traversée de Paris avec du Gabin et du Bourvil dedans. Très limité dans ses effets, Yann est capable de nous servir deux fois la même expression populaire (nous savons maintenant que « quand les poules auront des dents » se dit à Bruxelles « le jour où les pavés de la grand-place chanteront ») comme de nous exprimer le trouble de ses personnages par l’inversion systématique des syllabes tel ce « Tas du pou ! Bien au toncraire ! ». On le voit, la leçon des Maîtres a été pleinement assimilée.
Enfin, Yann, l’ancien punk qui hantait les hauts de pages du journal de Spirou est désormais plein de sagesse, privilège de l’âge il a compris beaucoup de choses, c’est pourquoi il croit devoir nous infliger un couplet moralisateur justifiant le collaborationnisme d’Hergé. Seul surnage dans ce potage l’amourette de Spirou avec une jeune fille juive qui parvient à nous toucher passagèrement, unique moment du récit où l’auteur met en sourdine ses manies et ses tics. Mais, reconnaissons-le, c’est bien peu de chose, qualitativement, au regard de ce qu’accomplit le Journal d’un ingénu !
Quelques mots du graphisme. Le travail de Schwartz est honnête. Que peut-on dire d’autre quand la volonté de se mesurer à Chaland tout en boxant deux catégories en dessous est si pleinement assumée ? C’est donc bien fait mais sans puissance et sans classe.
Cet album apporte une nouvelle fois la preuve que Yann, l’auteur d’Aventure en Jaune, de La Lune Noire et le co-scénariste de La Comète de Carthage n’est plus que l’ombre de lui-même, incapable de finesse et de poésie, il nous abandonne à spéculer amèrement sur ce qu’aurait pu être ce « groom vert-de-gris » placé en d’autres mains, en d’autres temps…
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