|
| |
|
|
|
|
  Mr_Switch
| Si une couleur est associée à Spirou, c’est bien le rouge. Pourtant traditionnellement, tous les albums du Spirou de Franquin ont des secondes de couvertures bleues avec un dessin original blanc. Tous sauf « ce prisonnier du Bouddha » où un rouge remplace le bleu. C’est du détail me direz-vous ? Sans doute mais avant l’histoire, c’est l’objet-livre qui m’avait interpellé, enfant. Cet album avait une seconde de couverture atypique et une couverture qui l’était tout autant. Des albums 7 à 13, on retrouvait une présentation avec le titre et le numéro du tome dans un bandeau. Et puis dans ce tome 14, soudainement celle-ci se fait plus minimaliste, permettant de faire ressortir une grande plage unie … rouge.
L’histoire date de 1960, en pleine guerre froide. Il ne manquerait plus qu’on nous narre une aventure teintée d’un rouge communisme. Cachez-moi ce symbole que je ne saurais voir ! Car si le mot de « communisme » n’est pas lâché, c’est bien de l’opposition des deux blocs dont il est question. Un scientifique russe est ami d’un scientifique américain prisonnier des geôles chinoises. Il y a des espions KGB qui donnent dans le « camarade » et les services secrets anglais représentés par des Dupondt au flegme très londonien. L’histoire en deux lignes : Champignac reçoit secrètement son ami Nicolas, éminent inventeur russe du G.A.G., une sorte de pistolet qui envoie un rayon anti-gravitationnel. Malheureusement son ami et co-inventeur du G.A.G., américain Harold, est prisonnier a Hoïnk-Oïnk, pays a cheval entre l’Inde victorienne et la Chine « démocratique ». Nos héros partent le sauver. Les mille et une utilisations volontaires ou non du G.A.G. sont visibles le long du récit. La fiabilité de l’engin varie et les auteurs poussent la prouesse au maximum : ce n’est pas un gadget-solution ni un appareil de trop extraordinaire. On découvre d’autres caractères du marsupilami, il peut respirer sous terre, semble t’il. Mais pour relativiser la chose, Greg change subitement (subtilement) de sujet. On n’y reviendra plus jamais.
Greg, en effet, scénarise pour la 1° fois une histoire de Spirou complète de 60 pages. Jusqu'à présent, Franquin se débrouillait plus ou moins seul. Cet apport de sang neuf est le point de départ de ce que beaucoup considèrent comme le groupe phare, le summum des aventures de Spirou : le cycle du Z, les hommes-bulles et QRN sur Bretzelburg que je vois comme une quintessence.
« Le prisonnier du Bouddha » a d’ailleurs des points communs avec ce dernier tome. Il y a une ressemblance dans la structure, les deux commencent par une phase plutôt comique qui provoque, qui mène vers les choses sérieuses. « Sérieuses » est le mot, si QRN était un plaidoyer contre les absurdités politiques, « le prisonnier » l’est tout autant. Comme je l’ai dit, il est, en outre, ancré dans le réel, c’est l’absurdité de la guerre froide qui est visée, c’est l’obscurantisme communiste…
C’est l’occasion de pieds de nez : le Russe part délivrer l’Américain. Bien sur, les clichés foisonnent, mais Greg les dompte merveilleusement. Si le fond est grave, le traitement reste assez léger. Cela reste de la comédie.
Vous voulez d’autres points communs entre les 2 albums ? Il y a le dévouement du Marsu pour ses maîtres qui est mis en avant. Il y a aussi Spirou qui quitte son uniforme assez rapidement. Citons également Fantasio qui vit des aventures en pyjama dans les deux histoires …
D’ailleurs dans ce tome 14, on trouve déjà des notes de dérisions. Le nom même du G.A.G. est explicite. Cette arme qui fonctionne au nucléaire est réduite à la notion de gag ? C’est vrai que c’est la source principale de gags (c’est le mot consacré) de l’album. Cependant, elle n’est pas à mettre entre toutes les mains… On peut aussi remarquer que nos deux héros font de l’autodérision : ils s’encroûteraient…
Enfin dernier point commun. Cette aventure introduit de nouveaux personnages dans la comédie humaine Spiruvienne, Harold et Nicolas, et un élément de taille, leur invention, le G.A.G.. Dans QRN, étaient introduits Marcelin Switch, Ladislas de Bretzelburg... Or bizarrement, ces personnages n’ont pas été recyclés ultérieurement ( si on excepte « Joyeuses Pâques Papa » de Fournier »). C’est compréhensible pour QRN, réel one-shot déconnecté du reste de la série. Pour le « Prisonnier du Bouddha », c’est plus étrange car on reste dans la continuité : Champignac, le Métamol, les aphorismes du maire… Cela ne donne que plus de force à l’album.
Pour conclure, je voudrais souligner deux points. L’un concerne le comte de Champignac. A l’époque Franquin, c’est encore un personnage ambigu : pas toujours très sympathique, dévoilant son coté obscur sous l’effet de certaines substances. Dans le « Voyageur du Mésozoïque » le tome précédant, il se réjouit de la mort subite d’un confrère. Il reste néanmoins fidèle à ses amis mais ici, il aimerait garder mystérieuse ses amitiés russes …
Enfin, j’ai souvent lu que le dessin de Franquin avait vieilli. C’est sans doute vrai pour les premières aventures de Spirou, sous l’influence de Jijé. Mais ici le dessinateur fait preuve de maestria : les scènes nocturnes ou en pénombres bénéficient de clairs-obscurs superbes. Et l’auteur ne se contente pas d’un seul point de vue dans les scènes : il s’amuse avec des vues en plongée, en contre-plongée, en contre plan… Ce n’est pas gratuit, les clairs-obscurs, les contre-plongées participent à donner une atmosphère, un suspens notamment au début de l’histoire. Franquin insuffle une dimension théâtrale (cinématographique) à l’album.
Ce qui vous intéresse, ce sont de belles illustrations ? Pas de problème, le « prisonnier du Bouddha », c’est aussi de très magnifiques dessins. Il y a notamment une jonque élancée sur les eaux qui m’est chère.
Maintenant, c’est a vous de découvrir cette grande histoire !
|
|
|
|
|
|
| |
| |