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  xaxa
| Chapitre I.
Planche I : Cinq cases tracée à main levée, au trait grossier, irrégulièrement disposées, à l'opposé de la notion de gaufrier : deux cases sur le premier strip, deux autres au suivant, mais séparées par un trottoir plus large, au centre duquel un phylactère ; le dernier strip, une seule case. Chaque case est composée d'un dessin, quasi identique : deux tâches noires sur fond blanc, figurants un personnage de profil ; chacune ne se différenciant réellement des autres que par de légères inclinaisons de la tête, ou par une ouverture de bouche plus ou moins grande.
Première case : silence; deuxième case : "Oh"; troisième case : "Oh là", quatrième case : silence; cinquième case, disposé au moyen de 3 phylactères : "Oh là là". "Oh là là". "Oh là là là là là là là là". Et encore et encore la page suivante : "Oh là là là là etc...".
C'est ainsi que l'on entre dans Retour Ecrémé.
Par la suite, on comprend que ce personnage, surpris au cours de cet onomatopesque monologue, est candidat lors du casting du film des frères Bob & Mike Mansour. Et quel candidat : un zombie ! Avec tous les attributs de sa condition : cerveau à moitié gangrené, cœur inerte, corps froid, peau partant en lambeaux sous le maquillage etc... Entraînant les frères Mansour dans un beau numéro de duettistes couards. Ensuite, on assiste au retour de Marilyn Monroe ; on se retrouve sur le plateau d'une émission télé ; on assiste à un monologue sur la condition de zombie ; une conférence de presse gouvernementale, puis avant l'épilogue, encore quelques tranches de vie de zombies.
Le propos d'Ibn Al Rabin est éminemment politique. La trame du livre est la confrontation Morts-vivants contre Vivants. On serait presque tenté de dire Non-Humains Vs Humains, tant le rejet, la volonté de distinction, non pas de genre, mais d'espèce, est flagrante de la part des vivants. Le débat télé en est l'illustration : parler des zombies avec un scientifique, une astrologue & une porno star ! En l'absence, évidement, des principaux intéressés eux-mêmes... Mais il serait réducteur de ne voir en Retour Ecrémé qu'une critique simpliste d'un racisme ou d'une vulgaire xénophobie. La pleutrerie des frères Mansour fait rapidement place à l'appât du gain : la publicité vite faite autour de leur film, par la présence du zombie Monroe, d'autant plus que ces zombies ne sont pas rémunérés ; la grève en réaction des acteurs vivants ; la naïveté insultante des journalistes ; la morgue sécuritaire et policée du gouvernement etc… Rien, dans les gestes, paroles des vivants ne semblent avoir crédit aux yeux de l'auteur. C'est le schéma même de société qui est mis en cause. Le pouvoir de l'argent capitalisé, la domination de la télé, l'usurpation de la démocratie représentative ; c'est la pleutrerie et l'acceptation de leur sort qui est condamné ici. Les vivants voient alors dans le rejet des zombies un échappatoire à leur médiocrité. A contrario, seuls les zombies semblent capable d'amour, de poésie, de rêve. Tristesse et désolation. L'incompréhension du rejet n'en est alors que plus forte.
Retour Ecrémé, par ce propos est la BD la plus révolutionnaire du moment, à l'opposé des élucubrations bobos trop souvent dépeintes.
Mais, évidement, ce qui frappe le plus en ouvrant cette BD, c'est le dessin. Noir & blanc, excessivement minimaliste, quelques "tâches" pour figurer les personnages & leurs attitudes. Les cadres, sont tracés à la main levée, volontairement irréguliers, disposés librement sur la planche. Une absence quasi totale de décor (un vague canapé, un micro). Les personnages en plan serrés, (découpé au buste ou à la taille, très peu de cases où on les voit de plein pied), jamais plus de trois dans une même case (nombreux dialogues se font avec des interlocuteurs hors-champs). Tout ceci pourrait donner une impression de va-vite, d'être fait sur un coin de nappe en papier, en fin de banquet trop arrosé...
Puis, par la répétition, le détail, la maîtrise apparaît. Les personnages, quasiment toujours dessinés de profil se distinguent entre eux par un chapeau, une barbe ou des cheveux plus ou moins longs... Pas d'yeux, les émotions sont alors juste retranscrites par la bouche et deux/trois points au dessus du ciboulot (pour la peur, l'amour...). Juste ? Non pas exactement. La mise en page, le découpage sont au moins autant importants, nécessaires à l'histoire. Pour exprimer la déception, la solitude, Ibn Al Rabin n'hésite pas, en fin du chapitre I de poser six cases, deux par deux, presque identiques, silencieuse, juste un zombie de profil, se décomposant de plus en plus, puis à la planche suivante (à droite), le même, dans une unique case, vers le centre-bas de la page, avec juste un phylactère posé verticalement, rehaussant l'image, la recentrant : "Bon.". Un peu plus loin, pour exprimer le désœuvrement et la bêtise des journalistes, le même plan du micro sur son pupitre répété dix-huit fois, avec un texte de temps en temps (hors case toujours...).
On arrive enfin à l'aspect le plus important de cette BD.
Les phylactères sont systématiquement hors-case. Ce qui peut être anodin au premier abord, devient au fil de l'ouvrage, non seulement caractéristique, mais constituant de son découpage et de sa lecture.
Les phylactères, s'intercalant entre eux, ou entre des dessins, jouent ainsi le rôle de case (dessinées), mettant ainsi sur un même pied d'égalité l'écrit et le dessin. Mais au delà, ce procédé, accentue encore plus l'effet d'ellipse inhérent au médium BD. Effectivement, suivant les cas, le texte est lu avant que l’œil ne découvre le dessin, à d'autres moments c'est l'inverse; certaines fois, un dessin s'intercale entre un phylactère et son dessin correspondant; ailleurs, ce sont deux phylactères calés entre leurs deux dessins respectifs; pour un même dessin, plusieurs phylactères, alors qu'un seul personnage n'est représenté et parle; à gauche du dessin, le texte du personnage de droite, et inversement pour son interlocuteur; phylactères de personnages hors case, etc ....
On le voit, par l'utilisation multiple des différents positionnements possibles du phylactère, l’œil du lecteur embrasse en premier lieu soit le dessin, soit le texte, s'oblige à de multiples va-et-vient d'une case à l'autre, d'un phylactère à une case, d'une case à un phylactère etc... Cette gymnastique renforce alors la prise en compte inconsciente de l'espace et du temps. L'espace parce que les plans serrés, les interlocuteurs hors-case, l'imbrication des phylactères laissent imaginer une vie hors du champ visuel, du cadre de la case; le passage d'un phylactère au dessin pouvant même, certaine fois, s'apparenter à un travelling. Le temps ensuite, car le découpage d'une même réplique en plusieurs phylactères, l'ajout d'un dessin en plus au cours d'un dialogue, etc..., donne autant au personnage le temps de la réflexion (ou de la peur, ou de l'amour...), qu'au lecteur le temps d'appréhender ces différents sentiments.
Si peut voir en Retour Ecrémé, par le retour d'outre-tombe de nos ancêtres, une parabole sur notre temporalité, on doit aussi y voir une réflexion sur la représentation du temps au moyen de la Bande Dessinée. Ibn Al Rabin fait ici preuve d'une excellente maîtrise du médium, et en repousse un peu plus les limites. Un chef d’œuvre à découvrir de toute urgence.
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Colombine
| Ibn Al Rabin avait un jour une exposition de ses planches suite à sa nomination pour le prix tœpffer de la ville de Genève. Son style minimaliste m'avait d'ailleurs séduite. J'avais déchiffré avec ravissement ses planches. Enthousiaste, j'avais trouvé 2 petits albums "des panosses, des catelles" (un titre bien suisse) ainsi que "friture". Leur lecture m'avait un peu refroidie. J'ai mis cela sur une erreur de format (ils sont tout petits ces bouquins). Lorsque j'ai entendu parler de "Retour écrémé", je suis allée quasi instantanément le chercher, sûre de la qualité du bouquin (je ne l'ai même pas feuilleté, c'est pour dire…).
Je me suis précipitée dessus. Déjà premier point négatif, ce bouquin ne s'ouvre quasi pas. Je ne sais pas ce qu'Atrabile a choisi comme reliure mais au bout de 15 minutes de lecture les pouces font mal. On hésite presque à craquer complètement cette reliure tellement elle est fermée.
Si le départ est intrigant, ma lecture m'a laissé sur ma faim. Rien ne me parlait. Qu'est-ce que c'était que cette histoire de zombies ? Et le découpage ? Même s'il sortait du gaufrier classique, quelle catastrophe! Beaucoup d'auteurs ont déjà fait cela (par exemple pour ne pas citer le classique Trondheim, Chester Brown) et surtout en mieux. Les phylactères dans "Retour écrémé" n'étaient pas posés au bon endroit, oblitérant parfois totalement les cases. Je me suis prise à plusieurs reprises à ne lire que le texte en ignorant les cases elles-mêmes. Si vous me dites que c'est un effet de style alors pourquoi se casser la tête à dessiner des cases ? Parfois je lisais la réponse avant d'avoir la question. Pire encore, dans une case, les bulles étaient inversées par rapport à ceux qui parlaient. Bref, un découpage pour moi totalement raté.
Quant au dessin minimaliste, est-il si nécessaire que cela ? N'est-il pas plutôt nécessaire pour cacher la faiblesse du découpage et du scénario ?
Décidément pour moi ce livre aura été la grosse déception de l'année 2003. N'est pas Trondheim qui veut. J'hésiterai avant de racheter un livre de Ibn Al Rabin.
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wandrille
| Retour écrémé. Sous ce titre obscur se cache une de ces nouvelles absurdes dont seul Ibn Al Rabin sait nous régaler. Imaginez : Les morts-vivants sont là, ils existent. La preuve : on vient de tourner un film avec Marylin, la vraie ! Alors ? Si c’est pas une preuve ?
Donc les zombies sont parmi nous, c’est nouveau, ça vient de sortir (de terre). Alors oui, mais ça pose des problèmes tout ça. Ces zombies, ils se mettent à travailler, à piquer le boulot aux vivants…Et puis on a même pas besoin de les payer en plus, ils ne mangent rien, ils ne se reposent pas…Que fait le gouvernement ?
Vous le devinez, Ibn Al Rabin a poussé le jeu très loin dans la logique de sa nouvelle. Il ne s’agit pas d’épouvante gothique, mais plutôt d’éprouvette caustique. Les situations abracadabrantes inventées par son cerveau tordu raviront les amateurs d’abscons.
Quant au dessin de ce gros petit bouquin (196 pages tout de même), inutile de le cacher : on est en plein minimalisme. Les silhouettes en ombres chinoises de Retour écrémé sortent visiblement des plus proches panneaux de signalisation de toilettes publiques.
Minimalisme graphique donc, mais pas pauvreté pour autant : en effet, Ibn Al Rabin se libère du gaufrier habituel pour jouer sur ses pages comme d’un piano. Les pages peuvent être pleines de cases muettes, ou envahies de texte autours d’une seule vignette, voir même être dotées d’une simple case centrale et muette. Il existe dans ce petit ouvrage un véritable effort de mise en page, d’autant plus sensible que le dessin est quasiment transparent dans sa simplicité. Donc avis aux amateurs de compositions narratives.
Dans les défauts de l’objet, outre ce dessin qui rebutera tous les amoureux du réalisme et autres allergico-rétrogades, on notera que les petites séquences de poésie de l’auteur, sur ses personnages d’outre-tombe, tombent, justement, à plat. Là où il fait mouche, c’est dans ses situations burlesques, dont on avait pu apprécier la drôlerie dans le magnifique album Les Miettes, qu’il avait réalisé avec Frederik Peeters. En tout cas, Ibn al Rabin est un scénariste à suivre, dans la lignée de Fred ou Trondheim, et son dernier opus vaut le détour pour peu que vous aimiez les histoires tordues, les dialogues rigolos et les scénarii bien ficelés.
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