|
| |
|
|
|
|
| Rapide-Blanc nous évoque bien entendu la chanson du même titre d’Oscar Thiffault de 1954. Pourtant, Rapide-Blanc c’est bien plus qu’une chanson folklorique!
Le village de Rapide-Blanc se trouve aux abords de la rivière Saint-Maurice et d'un barrage hydro-électrique. À l'époque, avec une centaine d'habitants, ce «village de compagnie» avait été érigé par la Shawinigan Water and Power à l’intention des ouvriers de l’entreprise. Isolés en forêt, les gens devaient donc habiter sur place. Il y avait une petite station de ski, une église, un magasin général; bref, c'était un microcosme d'un véritable village.
Dans les années soixante-dix, le barrage étant terminé depuis longtemps, le village a été démantelé et les bâtiments vendus pour récupérer les matériaux de construction. Aujourd'hui, il reste encore sept ou huit maisons en brique. Un village fantôme, comme on en trouve des dizaines sur le bord des rivières du Nord québécois. |
  rohagus
| Quand j'ai feuilleté par curiosité cet album, je me suis demandé durant quelques secondes si c'était vraiment une BD. Je croyais en effet parcourir un recueil d'illustrations semblables à des affiches publicitaires à la façon du début du 20e siècle, réalisées en utilisant un graphisme proche des animations shockwave, à base d'aplats de couleurs et de formes géométriques et contrastées.
Mais quand je l'ai lu pour de bon, Rapide Blanc s'est révélé non seulement être une vraie BD mais en outre un récit prenant et intéressant doté d'une narration et d'un graphisme aussi originaux et réussis l'un que l'autre.
Comme dit plus haut, le graphisme est proche du design publicitaire du début du 20e siècle. Les couleurs sont dans des teintes chaudes, marron et orangées. Le style est teinté Art Déco, les compositions sont très esthétiques et agréables à lire comme à regarder.
La narration est réalisée à l'aide d'une image unique par page, mais ces images sont souvent très parlantes qu'elles soient muettes ou qu'au contraire elles incluent des textes qui s'assimilent dans leur décor. En effet, certaines images que l'on croit dénuées de texte narratif les présentent en réalité de manière plus ou moins dissimulés ou du moins élégamment inclus dans les éléments de l'image, texte écrit en générique du film pour raconter que le soir les gens allaient au cinéma, narration sous forme d'indication des étages d'un ascenseur pour décrire l'immeuble où la scène va se passer, et autres exemples qu'il vaut mieux voir de soi-même pour bien comprendre.
Bref, c'est une BD au graphisme de toute beauté et surtout joliment rétro et original.
Quant à l'histoire, c'est celle d'une petite ville artificielle créée dans les années 30 au fin fond du Québec par la société qui allait construire et exploiter le barrage de Rapide-Blanc. Ce n'est finalement rien d'autre qu'un documentaire mais la narration est fluide et emphasée, transformant les simples faits en une belle épopée des temps modernes, une utopie de ville où tout est pour le mieux. C'est véridique et beau à la fois. Et la simple petite anecdote de ce fameux brochet légendaire, Le Général, suffit à donner une humanité et même un certain humour à ce récit.
Les reproches que je pourrais faire cependant sont que le récit traîne un peu en longueur vers le milieu. Quand on a bien compris que la vie dans cette ville était très agréable, on finit par se lasser légèrement de voir que oui, en plus, les habitants pouvaient aussi aller se baigner ou voyager en voiture. En outre, dès le début, on imagine bien quelle sera la fin hélas prévisible de cette aventure humaine. Et finalement, tout le monde n'est peut-être pas prêt à s'acheter une BD au prix relativement élevé qui ne soit qu'un très beau documentaire sur une ville champignon où il faisait bon vivre.
Ceci dit, face à la beauté et à l'originalité des planches et de la narration, face à ce récit à la fois intéressant et émouvant sur la fin, j'ai eu un petit coup de coeur et vous en conseille vraiment la lecture. |
Manu Temj
| J’ai découvert Pascal Blanchet il y a quelques mois avec La Fugue, petit album à l’esthétique très soignée et très référencée, qui – portant sur un sujet sans originalité particulière : retour sur la vie d’un homme au derniers instants de son existence – parvenait pourtant à distiller une émotion discrète et se refermait avec l’agréable impression d’avoir eu entre les mains un livre rare et délicat.
Je me suis demandé comment, faisant le choix d’un dessin par page et d’un graphisme exigeant, ouvertement référencé sur les standards publicitaires des années 1940-1960, Pascal Blanchet était parvenu à aller au-delà du simple « beau livre original » et à ajouter cette élégante touche émotionnelle. La correspondance trop évidente entre l’esthétique de l’album et le ton musical-jazzy de la vie du personnage principal ne suffisait pas à mon sens. Les mêmes dessins, répartis plus classiquement sur une ou deux planches auraient au mieux donné l’impression d’un sympathique travail expérimental publiable dans n’importe quelle bonne revue de bande dessinée, mais guère plus. La clé m’a plus semblé résider dans le temps de lecture de cet album. Le choix d’un dessin par page impose un rythme de lecture particulier, suite d’instantanés, métronome à la fois d’une existence (celle qui nous est narrée), d’une lecture (qui ne se balaye pas d’un regard, mais se positionne dans le temps de feuilletage du livre) et d’une musique (qui accompagne l’une et l’autre). L’exigence de déchiffrage du dessin ajoutait à cette cadence, obligeant le lecteur à s’arrêter sur chaque dessin, à chaque page, à comprendre et faire sienne les étapes de la vie du personnage. Plus que du dessin, l’émotion naissait alors de ce rythme particulier, nous offrant le temps de rejoindre celui de nos propre souvenirs et d’entrer en résonance avec le récit.
En prenant en main Rapide Blanc on se dit alors qu’il s’agit presque du même objet : même parti-pris graphique et éditorial (papier, tons, trait…). Naturellement on s’attend au même mécanisme, à la même émotion… Il n’en est rien, l’émotion n’est pas au rendez-vous… Déception ? Certainement pas ! Parce qu’il me semble que la similitude entre les deux livres n’est qu’une apparence, vite balayée par la lecture. Pascal Blanchet a réussi le tour de force, en utilisant la même base graphique et la même mécanique de mise en page (un dessin par page) à jouer sur un tout autre registre.
Cette fois l’auteur s’amuse avec son propre graphisme. Admettant ses références, il donne dans la mise en abyme et en use pour évoquer l’époque dont elles proviennent. Ce qu’il nous propose - en se basant sur l’histoire édifiante d’une éphémère ville champignon (Rapide Blanc) dont l’âge d’or s’étendit sur les années 40-60 – c’est un témoignage photographique de l’American way of life du New Deal. L’effet page à page n’est plus celui d'un métronome, mais celui d’un catalogue d’instantanés. L'auteur nous emmène feuilleter un vieux numéro du magazine Life, avec ses successions de photos noir et blanc à gros grain et de publicités dessinées, de maisonnettes en bois avec jardinet et barrière blanche, de décapotables imposantes et de jeunes femmes heureuses, lunettes, foulard et jupe courte. Pendant les deux tiers du livre, Pascal Blanchet nous immerge dans ses références – qui sont aussi les nôtres sur cette époque – et pousse la mise en abyme jusqu’à représenter les publicités pour Coca Cola ou évoquer les catalogues de fournitures (réfrigérateurs, postes de radio ou automobiles…). Il nous plonge dans cette époque et le lecteur se love confortablement dans cette image de bonheur consumériste qu’on nous vante encore régulièrement.
Et puis, en quelques pages, la chute est brutale. La ville de Rapide Blanc est liquidée, les maisons se vident en quelque mois, le rêve américain n’est plus qu’un décor de cinéma. Sa profonde futilité se révèle comme une évidence. Tout ça n’était que du vent, une illusion proposée par des marchands, la vraie vie est ailleurs. Le constat est même poussé jusqu’au grotesque, le brochet mythique de la rivière locale avale la clé de la dernière maison. La boucle est bouclée.
Ce n’est pas un récit émotionnel, c’est bien un témoignage historique, même politique qui nous est donné à voir (et a sans doute une portée supplémentaire pour le lecteur québécois, mais je n'ai pas les moyens d'en témoigner).
La petite faiblesse de l’album, Pascal Blanchet la concède peut-être tout de même dans ces dernières pages où il semble tenter - l’espace de trois ou quatre dessins - de revenir à l’émotionnel en se concentrant sur les couples laissant leur maison, le prêtre fermant son église… Il faut bien reconnaître que ça ne fonctionne pas bien, parce que pas véritablement amené par ce qui précède.
Le lecteur attentif des nouveautés BD est en plus invité – par concours de circonstances - à une vertigineuse mise en parallèle avec La Jungle de Peter Kuper. En deux très belles lectures, la chaîne Production-Consommation est bouclée… La dureté implacable de l’une en écho de la futilité de l’autre. Belle claque !
|
|
|
|
|
|
| |
| |