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| La Princesse du Château sans fin |
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  herbv
| Dans un monde alternatif, il existe une multitude d’univers parallèles. En fait, dès qu’un événement d’importance survient, il peut être à l’origine d’une division en deux de l’univers en cours. Ici, il s’agit de l’assassinat d’Oda Nobunaga par le général Akechi Mitsuhide. Dans un cas, Nobunaga remporte le combat, dans l’autre, c’est Mitsuhide. Il en résulte deux réalités alternatives représentées sous la forme d’une scission d’un château aux multiples étages. Le récit se focalise ici sur l’épouse de Nobunaga, la princesse Nô. Dans le premier cas, elle continue à conseiller son mari, dans le second, elle cherche à le venger en fomentant une rébellion qui s’appuie sur les rebuts de la société japonaise. Malheureusement, elle est rapidement défaite. Heureusement, elle réussit à s’enfuir vers les bas-fonds du château, jusqu’à retrouver le point de divergence. Et c’est là qu’elle va faire une découverte étonnante qui pourrait lui donner la victoire…
Shintaro Kago est un auteur de manga et illustrateur japonais qui a créé au fil des années un univers singulier, fantastique, souvent surréaliste, et provoquant. Cet univers est fait de jeunes filles (parfois des hommes ou des animaux) dont la physionomie interne est en partie exposée par une sorte de vue en éclaté. Kago aime montrer les organes ou mélanger des parties de corps humain avec des objets de la vie de tous les jours. Le résultat n’est pourtant pas toujours sanguinolent même si certaines de ses illustrations sont peu ragoutantes, c’est le moins que l’on puisse dire. Dans ses histoires, le mangaka s’amuse souvent à partir de quelques prémices (à moins que ce soit des prémisses) pour les développer de façon rigoureuse au fur et à mesure de la progression du récit. Dans La Princesse du Château sans fin, il met en forme une histoire avec une double trame narrative. Il propose régulièrement les deux univers en parallèle en affectant les pages de gauche à l’un et les pages de droite à l’autre. Outre ce jeu formel, il multiplie à l’envi des déformations de corps, des nudités plus ou moins grotesques et des scènes de sexe souvent explicites. L’ensemble montre la grande virtuosité de l’auteur, tant sur le plan graphique que sur le plan narratif. C’est bluffant ! |
rohagus
| C'est le premier manga de type ero-guro que je lis. Pour qui ne connait pas le terme, nous dirons que ce sont des mangas pour adultes aux thèmes très spéciaux, très japonais, mélangeant érotique et gore avec un sens du grotesque qui touche à l'horreur et à la fascination. Détestant la violence, je n'ai jamais été attiré par ce genre. Mais ce sont la beauté graphique et le bel album grand format avec sens occidental de lecture qui m'ont attiré vers La Princesse du Château sans Fin. Et j'ai été agréablement surpris sur bien des registres.
Pour commencer, il y a la qualité esthétique de l'objet. Le dessin de Shintaro Kago n'est pas techniquement parfait, certains visages sont un peu étranges, mais il est néanmoins très doué et il excelle surtout dans ce qui fait la particularité de son histoire : des fusions architecturales et autres déformations corporelles. Il y a d'une part ses décors de châteaux japonais historiques, avec force détails réalistes et des personnages en tenue d'époque. Mais ces fameux châteaux historiques sont étirés à l'infini en hauteur, puis courbés, éclatés, fusionnés... Et il en est de même des corps humains : quand ce ne sont pas des tortures horribles, à base de découpes nettes ou moins nettes, ce sont des corps transformés, fusionnés, dédoublés, rendus grotesques. Le tout est fait avec un dessin propre, maîtrisé, esthétique... C'est horrible et beau à la fois. Et la mise en scène est très fluide : ça se lit très bien.
Puis il y a l'histoire... à la fois folle et en même temps nettement plus logique et linéaire que je me l'imaginais.
Elle reprend le principe du multivers : dans un univers le seigneur du château a tué le traitre qui voulait prendre sa place, dans un autre le traitre a réussi et est devenu le nouveau seigneur. Puis dans la continuité de ce second univers, un fidèle de l'ancien seigneur tue et remplace le traitre, tandis que dans une autre continuité, le traitre sauve sa tête et reste en place. Et ainsi de suite. Au fur et à mesure de ces possibilités se crée une infinité d'univers différents, de châteaux différents. Sauf que plutôt que de former des univers séparés, c'est le château lui-même qui se divise physiquement à chaque nouvelle continuité et qui continue à grandir, formant ainsi une infinité de châteaux de plus en plus hauts, à l'intérieur desquels la vie s'organise en structure verticale, avec chaque niveau dédié à une activité spécifique, et le seigneur tout en haut. Et ces châteaux restent reliés entre eux à l'étage auquel a eu lieu leur division pour former un étrange ensemble organique et architectural.
Si sur le fond l'intrigue est une histoire de vengeance, l'épouse de l'ancien seigneur cherchant à se venger de l'usurpateur, ce cadre loufoque mais logique dans sa structure interne offre une foule d'originalités, notamment les résultats fantasmagoriques de ce qu'il advient des corps humains quand ils tentent de traverser la division entre deux châteaux. A cela s'ajoute l'horreur des tortures d'époque pratiquées par les tortionnaires du seigneur, en particulier la fameux lingchi qui consiste à entailler et retirer successivement, par tranches fines, des muscles et des organes du condamné, qui ajoutent à l'aspect terrible et grotesque de ce qu'il advient des corps humains dans cet ouvrage. Et surviennent aussi quelques scènes érotiques et de sexe cru pour ajouter la dimension érotique à l'ensemble, même si nous sommes ici plus dans le sexe au sens animal du terme que dans de l'érotisme subtil.
Terrible, gore et repoussant, mais en même temps fascinant par la beauté esthétique et la clarté du dessin, par les idées étranges qui traversent l'esprit de l'auteur et de son récit. Et le tout est réalisé avec une narration claire, des dialogues et comportements très humains : il y a une vraie histoire, avec de l'action et des rebondissements. La fin est toutefois un peu abrupte ; certes elle offre un spectacle visuel en apothéose apocalyptique, mais j'ai eu l'impression que la narration se stoppait net et qu'il manquait une ou deux pages de conclusion pour donner un point final à l'ouvrage.
Je reste toujours étranger à l'attirance qu'on pourrait ressentir envers l'ero-guro mais j'ai été agréablement surpris par cet album qui est beau, bien construit et qui présente des idées qui ne manquent pas d'intérêt tant dans la forme que dans le fond. |
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