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  Thierry
| Ne touchez à rien est un recueil de nouvelles tournant autour d'une maison bordelaise. Les anciens propriétaires, un couple féru de taxidermie, très attachés à leur maison, se sont fait naturaliser à leur mort afin de rester à jamais dans leur maison. Les nouveaux propriétaires doivent s'engager à laisser la demeure en état. Interdiction donc de toucher aux corps naturalisés. Au fil des ans, les propriétaires successifs s'acquitteront plus ou moins bien de cette exigence. Ceux qui renâclent sont rappelés à l'ordre, les autres bénéficieront parfois d'une étrange protection lorsque le besoin s'en fait sentir.
Il me semble qu'un des éléments centraux du travail de Bezian est le temps, traité de diverses manières. Cause ou conséquence, ses histoires se caractérisent par une certaine intemporalité. Difficile de vraiment les situer dans le temps et parfois difficile de se faire une idée précise du temps qui passe. Dans Ne touchez à rien, cette obsession s'exprime par un 'îlot' sur lequel ne semble pas avoir de prise. Chaque histoire commence de la même manière, même séquence de cases s'ouvrant, si je ne me trompe, par une vue d'ensemble nous renseignant sur l'époque, les cases suivantes se concentrant sur la maison, puis la porte d'entrée qui ne change guère, comme si le temps n'avait pas de prise.
Les histoires qui composent Ne touchez à rien jouent sur des variations fantastiques connues, qui évoquent plutôt Guy de Maupassant ou Edgard Allan Poe (à mon humble avis, je précise). Il n'y a rien de follement original, mais l'alchimie fonctionne parfaitement parce que Simsolo sait doser ses effets et que Bezian est un dessinateur formidable. Le travail sur les couleurs, s'il peut paraître surprenant de prime abord, se révèle très réussi.
Pour faire court, c'est trop de la balle. |
vacom
| Il est un hôtel particulier dans le quartier résidentiel de Bordeaux qui impose sa volonté propre à ses propriétaires successifs. Rien ne semble devoir l'empêcher de rester hors du temps, affichant toujours le même visage au fil des ans. C'est véritablement cette bâtisse pour le moins énigmatique qui est au centre de l'album et l'histoire s'apparente vite à un grand huis-clos, comme si les personnages étaient liés à ce lieux étrange et se devaient de le respecter.
Les différents occupants de la maison la marquent plus ou moins selon leur personnalité, mais ne semblent avoir que peu de prise sur les événements. Il est vrai qu'ils sont, eux, soumis aux caprices du temps qui passe. Ce parti pris scénaristique est surprenant mais offre un point de vue fort original. Les zones d'ombre sont nombreuses et laissent la place à l'imagination du lecteur. Qu'advient-il de certains personnages ? D'où viennent les particularités de la maison ? Quel est le rôle de ce satané baobab ? Mystère… C'est donc avec un réel talent pour l'ellipse et le non-dit que les auteurs nous mènent à la découverte de leur univers.
Un nouvel album dessiné par Bézian est toujours un grand moment pour celui qui a le bonheur de connaître son travail. Son dessin est reconnaissable entre mille, avec son trait fin, ses visages marqués, ses "gueules" qui, sans qu'aucun commentaire ne soit nécessaire, nous révèlent le caractère du personnage. Mais Bézian ne se contente pas de reprendre des clichés, il les intègre à son propre graphisme. Un bandit aura toujours une tête de bandit mais ce ne sera pas qu'un bandit. Ce sera avant tout un personnage de Bézian.
Grand adepte du noir et blanc, il manie aussi la couleur avec talent mais ne semble pas pour autant changer sa technique à base d'aplats. Les ombres et lumières sont parfaitement rendues et les atmosphères souvent fort sombres. Apposant de manière uniforme des couleurs d'une palette finalement assez réduite, il installe des ambiances qui conviennent à merveille pour rendre cette demeure fort mystérieuse, tantôt rassurante tantôt inquiétante.
Bézian et Simsolo nous offrent ici un très bel album, à la personnalité affirmée, et qui bénéficie de surcroît d'une qualité de papier et d'impression exceptionnelle. Tout simplement incontournable. |
ingweil
| Bordeaux, mai 1890. Une grande maison à vendre pour une bouchée de pain. Une maison un peu en dehors du temps, emplie d’animaux empaillés. Une seule condition pour l’avoir : laisser les propriétaires naturalisés dans le jardin d’hiver et ne toucher à rien... Bézian et Simsolo nous signent ici une histoire fantastique découpée en quatre nouvelles.
C’est toujours un plaisir de découvrir un nouvel album de Bézian. Sa trilogie Adam Sarlech l’avait révélé aussi bien dessinateur que scénariste atypique : pour le dessin, par les traits des personnages difformes, torturés, anguleux, des décors là encore torturés et baroques, et des couleurs intéressantes et novatrices (notamment dans le tome 2 La chambre nuptiale avec ces cases en noir et blanc au milieu d’autres en couleur, ces alternances de couleurs rouge sang et cendres...) ; pour le scénario évidemment, cette trilogie marquée sous le sceau de l’ésotérisme, de la folie et de la décadence physique et morale, nous entraîne dans un univers fantastique où les personnages se perdent dans les dédales de leur propre démence.
Il collabore pour cette histoire avec Noël Simsolo dont c’est la première BD mais qui est un romancier de polars (la série Edgar Flanders, quelques collaborations au Poulpe...) fortement inspirés par Edgar A. Poe et un cinéaste (Cauchemar, Pan-Pan, Les carnet des demoiselles). Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il s’agit d’une réussite.
Quatre nouvelles, une seule histoire
Ne touchez à rien est découpé en quatre nouvelles qui commencent toutes de la même manière : une localisation de la maison dans Bordeaux nous présentant les changements du contexte advenus depuis la fin de la nouvelle précédente, une localisation dans le temps (toujours le même mois, mai, sauf pour la dernière nouvelle), un plan qui se resserre sur la porte de la maison, une main qui se tend et frappe et la porte s’ouvre.
Cette présentation développe une sensation d’intemporalité de la maison : quelque soit l’évolution de l’extérieur, la maison reste inchangée, et, si l’incendie qui la frappe entre les troisième et quatrième histoires a abîmé la façade et la porte, elle n’en reste pas moins debout, « hors du temps ». Cette notion d’intemporalité est d‘ailleurs au centre de la requête des propriétaires : laissez-nous dans notre jardin d’hiver pour l’éternité, laissez notre maison telle que vous l’avez trouvée. Le choix d’un baobab (qui intrigue tous les locataires) n’est pas anodin puisqu’il s’agit d’un arbre dont l’espérance de vie peut atteindre les deux mille ans, et donc reste inchangé au fur et à mesure de l’histoire. La maison est tellement un symbole d’intemporalité qu’elle devient même un musée à la fin de la troisième histoire, avec comme gardien, un personnage déjà vu dans les deux premières nouvelles.
Le découpage en nouvelles cherche donc à appuyer ce sentiment d’un temps infini en étirant cette histoire sur plus d’un siècle, en ne s’intéressant qu’aux changements de propriétaires que pour mieux montrer les éléments qui perdurent. Les nouvelles s’interrompent dans la mort et la violence après que les propriétaires ont intervenu pour se débarrasser des impudents qui ont provoqué leur courroux.
Une ambiance fantastique
On l’a dit, Bézian est un auteur marqué par le fantastique. Cette histoire en est fortement empreinte, déjà par son postulat de départ : ces gens qui se font empailler et qui demandent à demeurer pour l’éternité dans leur maison, ce baobab à Bordeaux (habitué certainement à des températures plus clémentes), la mise en évidence du caractère reculé et extraordinaire de la maison... toute l’introduction nous montre que l’histoire part sur des rails fantastiques. De même, la couleur de la couverture (dominante bleu nuit), sa composition (les deux personnages, - les fameux propriétaires -, légèrement inquiétants, nous font face, comme pour nous affronter) participent à cette première impression d’étrange, impression qui est largement confirmée par la suite.
Pour appuyer cette sensation, Bézian produit ici un travail de dessin remarquable. Si les personnages sont moins difformes que dans Adam Sarlech, on retrouve son trait si caractéristique dans les visages des propriétaires. Mais c’est surtout dans les couleurs et les ambiances que le rendu est exceptionnel : les jours sont froids, blancs, presque éblouissants ; les soirées sont orangées, chaudes, propices à tous les excès ; les nuits sont d’un bleu froid (comme la couverture), avec un superbe travail sur les ombres... C’est au travers de ces contrastes que la tension grimpe, palpable.
La maison, les propriétaires et les habitants successifs
On en vient à se demander ce que sont les motivations des propriétaires : si ils veulent rester hors du temps, pourquoi vouloir louer cette maison ? Le moyen le plus sûr serait de ne jamais avoir d’habitants. Seulement qui pourrait empêcher un escroc de faire brûler la maison ? Comme on le voit dans la troisième histoire, si les propriétaires sont capables d’assassiner à distance, un individu extérieur leur est nécessaire pour récupérer le tableau dérobé. Il est donc nécessaire de « recruter » des « alliés ».
Ces alliés ne vont pas devenir immortels comme les propriétaires, mais leur histoire va s’étendre d’une nouvelle à l’autre : ainsi, l’homme congédié par le premier acheteur deviendra le domestique de la seconde et participera à son exécution testamentaire ; la petite fille qui visite le musée dans la troisième nouvelle obligera le promoteur immobilier à se dévoiler et à tomber dans le piège de la maison. Mais le personnage qui apporte le plus à l’histoire et à la maison est la deuxième acheteuse.
Elle est la seule acheteuse à être acceptée par la maison, d’abord parce qu’elle est la seule à respecter le contrat qui la lie aux propriétaires. Ensuite parce qu’elle n’est pas vénale ni attirée par la luxure (défauts qu’ont tous les autres personnages assassinés par la maison). Elle est la lueur d’espoir d’une histoire qui ne nous parle autrement que de misères sociales, de décadence, d’arnaques à la petite semaine et de promesses non tenues. Elle recherche « la beauté, même dans la laideur ». À travers ses tableaux (que la maison utilisera pour se débarrasser du promoteur), elle cherche à racheter le monde, un peu aveuglément et naïvement, mais de toutes ses forces.
Une histoire morale
Et c’est là le fin mot de cette histoire : les méchants sont punis, les bons restent. Les propriétaires sont une espèce de punition divine face à ce que notre société peut produire de pire, au travers des époques (de la fin du XIXème siècle au début de ce nouveau millénaire), qui touche toutes les classes sociales (le bourgeois, les pauvres, les petits voyous, les entrepreneurs...). Et si finalement cette intemporalité, cette constance dont parle cette histoire, c’était celle de l’homme et de ses manières de vivre : la plupart du temps irrespectueux d’autrui, violent ; et, de temps à autres, fidèle à ses promesses, rachetant ainsi les erreurs des autres. |
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