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| La Philosophie dans la baignoire |
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| Comment peut-on à ce point rater son objet? Aucun doute que si un auteur s'attelait à n'importe quel autre objet — de la pétanque à la physique nucléaire en passant par la sculpture sur bouse ou l'art de peler les opossums — sans en dire autre chose que les trois déclarations proverbiales du prêt-à-penser jetable donné en kit avec l'abonnement aux Inrockuptibles, les lecteurs hurleraient à l'escroquerie. Mais là, rien. Les plus mauvaises bandes dessinées historiques sont au moins soucieuses de savoir à peu près de quoi elles causent. Vous me direz qu'ils s'agit de faits, et que les faits, hé bien c'est computable. Ce qu'est un fait philosophique, voilà qui est un peu plus difficile à cerner...
Dans un de ses cours sur Leibniz, Deleuze s'étonnait que si un cordonnier causait de son métier, personne ne faisait de commentaire, on écoutait le cordonnier, on lui accordait sa place de spécialiste sans moufter, alors que tout le monde semble avoir un truc à dire sur la philosophie. Paradoxalement, la philosophie serait-elle alors la seule activité humaine devant laquelle on puisse apparaître nu de tout savoir?
Sfar, qui nous a habitué a plus de finesse, ne nous épargne aucune balourdise sur l'idée rancie qu'il se fait du métier de philosophe, à savoir qu'il ne s'agit sûrement pas d'un métier : selon les catégories rebattues de Sfar — qui sont celles de sa boulangère et de Poil & Moustache Magazine —, en effet, il y a d'un côté ceux qui causent, et de l'autre ceux qui agissent. Qu'une pensée soit un objet, une parole un acte, voilà qui échappera pour toujours à ce mode binaire qui confond le jugement et l'opinion, l'advention du sujet (l'invention, par exemple, de concepts philosophiques) et ses conditions d'apparition sociale (la réduction que l'opinion se fait, par exemple, de la philosophie).
Sfar acquiescerait-il aussi rapidement à l'idée qu'un psychanalyste est vraiment la caricature qu'en font les magazines people? À celle d'un rabbin que se fait un mormon?
La prolepse qui lui fait mettre en scène sa première mise en forme dans un Café du commerce sent plus fort la possibilité de repli (il pourra toujours invoquer le second degré) que la véritable mise à distance de son objet. Voilà qui flatte le lecteur dans l'idée générale qu'il peut continuer à faire l'économie de ces chieurs de Hegel et Kirkegaard et poursuivre sa lecture de bandes dessinées sans rougir.
À propos de la masturbation intellectuelle : je suis pour. Jusqu'à ce que je rencontre quelqu'un capable de me faire jouir.
P.S. : sinon, narration impeccable, dessin toujours fébrilement filé dans cette douce tension entre grâce et maladresse, bref, du Sfar. Dommage.
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