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| Une mystérieuse mélodie ou Comment Mickey rencontra Minnie |
États-Unis, 1927. Mickey Mouse termine l'écriture de son nouveau scénario : les prochaines aventures de Dog the Dog, la coqueluche d'Hollywood ! Mais lorsqu'il se rend chez Big Boss, son producteur, celui-ci lui demande de réfléchir à quelque chose de plus tragique. Comment faire ? Mickey n'a encore jamais écrit d'histoire triste... Alors qu'il étudie cette épineuse question sur le train du retour, sa voisine de siège s'endort sur son épaule. Les lumières ne fonctionnant plus, il fait nuit noire dans le wagon, si bien que Mickey n'a aucune idée de qui peut être cette inconnue qui fredonne un air de musique dans son sommeil. Une délicieuse et mystérieuse mélodie qui ne va pas le quitter durant toute la réécriture de son scénario. |
  Pierre
| A première vue, ça ne paie pas de mine. On feuillette l'album : ça a l'air un peu statique et gentillet, et pourtant... Cela se révèle une véritable réussite, à plus d'un titre. Réussite au point de vue de l'esthétique, de la narration et de la signification. Tandis que Trondheim dans une tentative similaire et simultanée (Mickey's craziest adventures) ne parvient pas s'élever au-delà du discours creux de l'hommage faussement irrévérencieux, Cosey lui se réapproprie le mythe pour le fondre dans son univers propre, et cela afin d'esquisser une réflexion sur la création artistique. Il y a dans cette Mystérieuse mélodie tout un réseau qui se met rapidement en place et fait sens avec une économie de moyens et une absence d'effet qui sont admirables.
L'argument est apparemment mince : Mickey à sa table de travail rédige un scénario qu'il s'en va ensuite soumettre à un producteur à Los Angeles. La confrontation du créateur avec l'homme d'argent vient interférer dans son processus créatif, et le perturber (« le public attend ceci, réclame cela »... « Prenez donc exemple sur Shakespeare... »). Le voyage du retour en train donne à Mickey l'occasion de s'éprendre d'une belle et mystérieuse personne qui va occuper ses pensées cependant qu'il se remet à l'ouvrage en tâchant de satisfaire aux exigences du public.
Les personnages évoluent dans un univers qui est celui de Cosey (avec ses codes graphiques et narratifs : grandes cases, compositions aérées, schématisme, ellipses, monologue intérieur, concision des textes, couleurs en demi-teintes) mais dont les références sont celles d'un Mickey des origines, d'avant sa transformation en phénomène culturel, installé dans une Amérique idyllique des années vingt immortalisée à la veille de la grande Crise (à relever, un rigoureux travail de cohérence dans l'emploi des noms anglo-saxons pour les arrière-plans, avec lesquels le contenu des bulles en Français semble dissoner exprès, comme si l'on avait affaire ici à une version doublée - ce travail est seulement gâté par la présence regrettable d'une bévue page 44 : « dilemne » écrit au lieu de « dilemme »).
Le thème central de cet album est donc la création. Mickey y incarne la figure de l'auteur dont on voit le travail soumis à différentes interactions : la sensibilité propre de l'artiste (ce sur quoi le verse son penchant naturel) doit s’accommoder des exigences de l'éditeur/producteur mais est aussi brouillée par les états d'âmes, les sentiments du moment (ici amoureux) qui l'habitent. De tout cela, émergera finalement une œuvre originale.
Il y a ici une mise en abyme subtile (rendue possible par la vacuité inhérente au personnage de Mickey - comparable à celle de Tintin ou Spirou - et l'univers codifié et familier au lecteur dans lequel il évolue) qui permet d'y projeter la figure d'un créateur qui pourrait tout aussi bien être Walt Disney que Cosey lui-même. Les poncifs utilisés (la belle inconnue, les quiproquos, la découverte de « l'affaire du siècle »...) sont détournés de façon à montrer qu'ils peuvent être producteurs de sens, en dépit de leur usure : c'est leur mise en ordre qui crée la singularité, ainsi que la sincérité du propos qui confère la profondeur et cette vérité dont le travail de Trondheim est dépourvu.
Quand Trondheim raille les « cités perdues » et autres chasses au trésor qui peuplent les histoires des Mickey Parade, il s'en tient au ricanement bête et ne produit rien ; Cosey dans son approche est plus pertinent. Dévoilant in fine la nature de la fameuse « affaire du siècle » (un prétendu manuscrit perdu et inédit qui obnubile et égare le personnage de Dingo), il brocarde la vanité des espoirs qu'elle contient, mais il nous suggère aussi que l'intérêt réside davantage dans le renouvellement de la forme (ce à quoi s'est attelé Mickey) que dans la recherche chimérique d'une énième pièce de Shakespeare (l'inédit et le « à la manière de » ne sont-ils pas deux des travers où se complait la frilosité des entrepreneurs en édition ?). De la même manière, la révélation du personnage de Minnie (argument de l'album) tord le cou aux clichés sexistes qui abondent dans la littérature populaire et justement illustrés jusqu'ici par l'éternelle fiancée de Mickey, en imposant cette fois un personnage féminin crédible, au caractère affirmé.
Dans le contexte a priori le plus contraint qui soit, Cosey réinvente Mickey (figure emblématique d'un empire financier, d'une idéologie, d'une vision du monde) donnant une œuvre atypique et intemporelle, où la réflexion personnelle est empreinte d'une indéniable poésie. |
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