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| Jimmy Corrigan est un homme très timide et très seul, étouffé par une mère omniprésente. Jimmy a un travail de bureau sans intérêt, et vit davantage dans ses fantasmes que dans la triste réalité qui l'entoure. Un beau jour, il reçoit un courrier totalement inattendu : une lettre du père qu'il n'a jamais connu. Ce père qui les a abandonnés, lui et sa mère, et qui lui propose de venir le voir pour la première fois. Jimmy, naturellement bouleversé et terrifié, part à la rencontre de cet inconnu... |
  Eugène le jip
| Jimmy Corrigan est une espèce de larve. Un homme de 36 ans complètement amorphe, sans réelle personnalité, ni amis, ni boulot intéressant, ni passe-temps. Bref, une espèce d'anti-héros poussé à son paroxysme. Mais tout n'est pas de la faute de Jimmy. Sa mère, ultra-possessive, et son père, ayant quitté le foyer conjugal peu après sa naissance, ont une responsabilité très importante sur le manque de personnalité du fiston. Un jour, son père désire le revoir et le contacte. A l'insu de sa mère commence alors un voyage hors-du-commun pour Jimmy....
Bon, tout ça est secondaire car l'intérêt premier de Jimmy Corrigan est le traitement narratif et graphique appliqué par Chris Ware. Ce type est complètement fou et Jimmy Corrigan est un truc inclassable. A l'aide de petites cases très simples, de mots, de textes utilisés à contre-sens, de planches à monter insérées dans la BD et de jaquette à déplier dans tout les sens, Ware se réapproprie les codes de base de la Bd et les réutilise à sa façon, pour notre plus grand bohneur. Le dessin est simple, voire simpliste, et renforce la fluidité du découpage, malgré une impression de mise en page bordélique en premier abord. Il y a énormément d'invention dans cette Bd et en la lisant on a parfois l'impression d'être un gosse de 4 ans qui vient d'ouvrir un beau livre d'illustration avec plein de trucs inconnus dedans. Le tout est emballé avec un humour noir très subtil.
Cette BD est une bête à concours et va sans doute recevoir quleques prix. On va sans doute essayer d'ne faire un truc intello-branché, mais ne vous laissez pas abuser: Jimmy Corrigan est un truc très facile d'accès, très jouissif et complètement géant. |
CoeurDePat
| Jimmy Corrigan, sans être complètement novateur et exceptionnel, est un album très original, et le moins que l'on puisse dire c'est que son auteur va jusqu'au bout de son concept : couverture dépliante double face remplie de choses ; conseils aux lecteurs en 2ème de couverture, façon "contrat d'assurance", écrit en tout petit et dans tous les sens ; mentions légales intégrées à l'histoire (dans l'histoire, vers la page 30...) ; etc. Tout est lié à l'oeuvre, le souci du détail et de l'utilisation du médium poussés très loin.
Les planches sont d'apparence très particulière. Format à l'italienne atypique, la plupart des cases sont minuscules (environ 2cm de côté) et disposées de façon assez originale. La lecture en est d'abord gênée, puis on comprend le fonctionnement et elle devient fluide. Bon, point noir, les textes sont minuscules, et même avec de très bons yeux (ou lunettes), la fatigue visuelle arrive rapidement (et en plus il faut tenir les 380 pages...).
Les "interludes" -- maison à découper et monter soi-même, avec conseils d'assemblage par exemple -- sont sympathiquement bienvenus, drôles, et modifient assez profondément le rythme du récit, interrompant l'immersion du lecteur dans l'histoire. On remarquera quand même que si jamais quelqu'un voulait vraiment les découper, il ne pourrait monter que partiellement les objets, puisque les pages sont imprimées en double face. Eh oui !
Le ton général de l'album est extrêmenent cynique, et même un peu glauque parfois. On le constate dès le tout début (conseils de lecture) : l'humour de Chris Ware est (ici) très particulier, mais aussi très prenant. De fait, l'ambiance est englobante, on est aspiré dans cet univers.
Le fait d'entremêler rêves, fantasmes, et histoire(s) sur 4 générations donne un résultat dense, qui pose malheureusement parfois problème pour s'y retrouver...
Je ne parlerai pas du dessin, au style très particulier, un peu rebutant au début, mais très efficace.
Au final, cette oeuvre originale et intéressante ne m'a cependant pas complètement convaincu : sans parler d'indifférence, je suis resté relativement détaché du total looser qu'est Jimmy Corrigan. De plus, le prix de cet album est tout simplement rédhibitoire.
On notera tout de même le soin extrême apporté à l'adaptation de l'ouvrage en français. Chris Ware tient en effet à contrôler toutes les versions, et Delcourt en a apparemment quelque peu bavé : traductrice + graphiste ont bossé un an pour adapter avec un grand soin l'oeuvre originale.
Chris Ware lui-même -- pourtant très exigeant -- s'est déclaré très satisfait du résultat.
(pour plus de détails, voir le Pavillon Rouge de décembre 2002) |
isaac
| Bon, avant d'attaquer la critique de ce pavé de 380 pages, quelques mises en garde.
Si vous trouvez les bds de l'association étranges et complexes, passez votre chemin.
Si vous ne voyez en la bd qu'un moyen de vous détendre tranquillement, passez votre chemin.
Si vous avez déjà rencontrez quelques problèmes de compréhension à cause d'une mise en page non académique passez votre chemin.
Si vous avez déjà rencontrés quelques difficultés de compréhension en lisant une bd américaine, européenne ou même japonaise, passez votre chemin.
Pour ceux qui sont encore là et qui se destinent peut être un jour à lire le Jimmy Corrigan, il vaut mieux déjà avoir quelques années de bd dans les jambes et être bien armé avant d'ouvrir l'album. Le travail sera ardu, mais le jeu en vaut la chandelle. Plus jamais vous ne lirez une bd comme Jimmy Corrigan et cette histoire vous hantera longtemps après avoir refermé la dernière page.
Bon, débutons la critique à proprement dite. Tout d'abord, la bd en elle même est vraiment très belle, superbe maquette, très jolie jaquette, format original... Assez lourd à tenir entre les pattes tout de même. Il faut dire que l'éditeur a passé une année à réaliser cette édition.
Le dessin maintenant, extrêmement minimaliste et pourtant, on sent bien que sur certaines cases, Ware a envie de se faire plaisir, notamment sur les décors de l'exposition. La mise en page est étrange, le déroulement aussi, cases en doubles, pas d'ellipse, on s'attarde sur les expressions du héros (la seule fois où vous verrez un personnage sur ses toilettes pendant au moins 5 ou 6 cases d'affilées), bref, le rythme peut paraître difficile pour un lecteur européen ou même japonais, le dessin aussi. Petit reproche sur les textes qui sont parfois un peu trop petits.
Ensuite, vient le gros morceau, l'histoire en elle même, enfin l'histoire, finalement, il ne se passe pas grand chose en 380 pages, très très peu d'événements, peu de lieux, peu de rencontres, peu de dialogues... Mais alors quoi, qu'est ce qu'il fait que cette bd soit hors du commun ? C'est le fait qu'elle permet au lecteur de rentrer à l'intérieur du personnage, de disséquer l'âme du héros, étrange voyage s'il en est, personne n'en sortira indemne. Ware réussi ici un tour de force incroyable, celui de disséquer son névrosé psychotique sous toutes les coutures. Deux histoires en parallèle, deux époques, un lien de sang, une vie difficile. Le passé se répète, une enfance difficile tout est suggéré, rien n'est vraiment expliqué et pourtant, le lecteur dispose de tous les indices, posés à même la page.
Difficile d'accès Jimmy Corrigan, j'en conviens. Plusieurs lectures s'imposent.
Un album difficile, qui ne conviendra qu'à une petite partie du public bdphile, mais croyez moi, jamais vous ne lirez une bd comme Jimmy Corrigan. L'effort vous sera grandement récompensé... |
Coacho
| Et dire que je n’ai cessé de repousser ma lecture de cet album unique, prétextant tout et n’importe quoi, ne voulant pas laisser ce livre me ruiner le moral... A force de lire tellement de choses sur ce looser névrotique, j’en avais développé une forme d’allergie dont je m’accommodais bien volontiers. Et pourtant, quelle erreur !
Ce livre est non seulement unique, mais il est tout simplement génial !
Génial dans sa conception, dans ses moindres détails, dans l’inventivité de sa narration, dans la folie de son découpage, dans la folie de son concept, dans le délire de sa psychologie.
Et, passée un début délicat, exigeant même, d’un cinquantaine de page, la démonstration devient une évidence : Chris Ware est un pur génie.
Je ne vais pas m’attarder à expliquer l’évolution et la construction du récit mais le fait d’étaler celui-ci sur 4 générations permet de comprendre ce qu’est l’atavisme, et le résultat sur ce pauvre Jimmy que je ne qualifierai pas de looser, cette sentence me semblant trop définitive et facile.
Jimmy n’est que l’accumulation d’échecs générationnels générateurs de frustrations reportées sur le plus jeune…
A l’âge où l’enfant doit s’affirmer, prendre confiance en lui, les parents doivent se donner, valoriser l’enfant, le rassurer. Là, il n’y a qu’une accumulation de brimades, de punitions, d’humiliations même qui auront pour effet de ruiner toute l’assurance du jeune Jimmy.
Parmi les images marquantes de ce que j’énonce ci-dessus, il y a les phylactères de Jimmy et son bégaiement systématique. Chaque première syllabe est doublée, renforçant ainsi ce sentiment hésitant fort.
Il y a ensuite l’autre récurrence des hommes peu confiants en eux : le fantasme.
Généralement d’ordre sexuel, les envies dévorantes et inavouables de Jimmy sont parfaitement intégrées au récit et ajoutent une autre dimension au pathétisme de cette famille.
Et enfin, même s’il m’est difficile de dire qu’il s’agit d’une révolution narrative, car elle me semble emprunter à la culture manga cette faconde de la surmultiplication des cases qui s’attardent sur des micros évènements, Jimmy Corrigan donne le temps au temps en offrant des focus sur des détails infimes du récit qui finissent par prendre une importance quasi capitale.
En démultipliant justement les cases, en zoomant sur ces détails infimes, et faussement insignifiants, l’impression de névrose est magistralement rendue.
La maladie, la dépression, la peur, et mille autres sentiments brillamment mis en image sont au menu de ce livre copieux, cher, exigeant, mais qui est assurément un des chefs-d’oeuvre d’une intelligence supérieure auquel Delcourt a su offrir le plus bel écrin.
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kadjagoogoo
| UN MUST ! Le livre-objet de l'auteur américain - Prix du meilleur album au festival d'Angoulême 2003 -, promet une singulière expérience au lecteur curieux et avide de récit aventureux.
Oh, pas que cette histoire raconte une aventure pleine de rebondissement ; au contraire, la vie du héros de Ware, le placide Jimmy, est tout ce qu'il a de plus débilitant et plat, et c'est bien malgré lui qu'il va se retrouver une petite entorse à sa rassurante routine pour permettre cette quête identitaire que sera cette parenthèse "enchantée" (le terme sied mal au caractère de Corrigan, solitaire neurasthénique, et pourtant...)
Non, cette bande-dessinée est en soi une aventure en ce qu'elle propose un récit vertigineux, à travers plusieurs générations d'une famille dont l'anti-héros de cette histoire est en fait l'ultime avatar, moins dégénéré que les modèles paternels successifs qui ont abouti à saper chez lui (et ses aïeuils) tout embryon de charisme et d'autorité, voire toute personnalité (il est l'effacement même, la docilité et la passivité incarnées).
Cette soumission creuse à une existence accablante de tranquillité (quoiqu'on en pense, il est bon de rappeler qu'elle peut être l'ennemie, cette absence totale de tension et d'inconfort sur lequel ne peut prospérer aucune envie, aucune transcendance), cette absence de révolte face au quotidien paisible (ou déprimant, c'est selon), Jimmy la doit assurément à une mère envahissante qui, c'est cliché, a vu son autorité castratrice s'épanouir dans le vide laissé par le père démissionnaire que n'a jamais connu "le plus intelligent gosse de la planète" - comme l'annonce ironiquement le sous-titre du livre -, et qui ressurgira tardivement pour faire démarrer le récit.
"Jimmy Corrigan", c'est avant tout un formidable appareil graphique - de véritables labyrinthes picturaux, tous plus nébuleux les uns que les autres, mais toujours rigoureusement cohérents (Chris Ware pourrait presque être soupçonné d'autisme Asperger devant autant de minutie quasi-mathématique ! ) -, au service d'un (triple) récit enchevêtré qui dénonce avec sensibilité et nuance le saccage irréversible d'une éducation paternelle déficiente (qu'elle pêche par violence, indifférence ou absence) dans la psyché d'un enfant ainsi promis à devenir un adulte affectivement handicapé, émotif et déséquilibré, incapable de créer le moindre lien social.
On remonte le cours de ce récit tentaculaire (et pourtant proche du huit-clos familial) avec d'autant plus d'intérêt et d'aisance qu'on se glisse progressivement dans la peau de Jimmy ; un personnage avantageusement vacant, qui laisse ainsi tout loisir au lecteur de vivre les situations avec sa propre subjectivité, sans parasitage possible, donc, avec les non-réactions de ce monstre de stoïcisme qu'aurait sans doute reconnu et aimé Herman Melville, le créateur du flegmatique scribe Bartleby.
Une enveloppe corporelle apparemment vide qui n'exclut pourtant pas une intense adhésion de la part du lecture empathique, le regard de Jim semblant toujours être sur le seuil de l'imploration - sans que l'on sache jamais à quoi vraiment s'en tenir avec ce grand nigaud pataud, oscillant qu'on est entre envie de secouer cette victime-née et instinct de protection pour l'être pur et sublime, le grand naïf éternel enfant, asexué et vulnérable - en bref, inadapté.
(la bouille stupido-implorante de Jimmy, version statue, objet pop pervers ?)
En vous souhaitant donc une belle découverte, une belle expérience, qui débute dès la truculente jaquette qui entoure l'ouvrage et se déplie pour laisser apparaître un texte avant le texte, véritable plongée et mise en condition pour pénétrer dans l'univers tragicomique conçu par Ware durant les cinq années (1993-1998) qu'il mit à accoucher de son premier récit d'envergure. |
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