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  rohagus
| C'est loin d'être la première BD que je lis qui raconte la jeunesse et le parcours de son auteur, qui explique comment lui est venu la passion de la BD et comment il en a fait sa carrière. Toutefois c'est bien la seule qui m'a montré de cette manière la vie et la situation politique en Turquie des années 1970 aux années 2000. Et elle m'a appris beaucoup de choses.
J'ai réalisé à sa lecture à quel point ma vision de la Turquie était faussée par les clichés que j'en avais et le peu que j'en avais vu, via des films comme Midnight Express ou le premier tome de Largo Winch. J'y voyais un pays corrompu et autoritaire, mais avec une vision aussi simple que celle que je pouvais avoir de pays africains avec un président à vie à leur tête et des autorités véreuses. Il me manquait un élément essentiel, à savoir à quel point la modernisation du pays par Atatürk avait paradoxalement entrainé des années plus tard l'exacerbation d'extrêmes entre les prodémocratie laïques, les ultra-nationalistes et les musulmans radicaux. Je n'avais aucune idée de la dangerosité du pays dans les années 1970 quand la population civile était entre le marteau et l'enclume d'une guerre civile larvée et maffieuse entre radicaux de gauche et de droite. Je n'avais pas non plus une vision claire du rôle de l'armée ni de la montée de l'islamisme politique et de la pression sociale agressive dont ils ont pu faire preuve ensuite sur la population, pas plus que de la manière dont Erdogan avait réalisé son ascension au pouvoir avec ce soutien islamiste à peine masqué. Alors que Journal inquiet d'Istanbul raconte purement la jeunesse de son auteur, c'est bien par son biais que j'ai pu découvrir tout cet aspect de la Turquie que je connaissais trop mal.
Mais est-ce qu'un contenu instructif suffit à faire une bonne BD ?
Non, mais dans le cas présent, un dessin de bonne qualité et une narration très fluide et agréable le permettent pour de bon.
Je ne connaissais pas Ersin Karabulut. Ses personnages très caricaturaux ont un temps masqué à mes yeux son talent graphique mais ses décors réalistes et très soignés m'ont convaincu. J'apprécie aussi l'élégance de sa colorisation. Sa mise en scène est simple mais efficace et la lecture coule avec fluidité. On ne s'ennuie pas, il y a toujours une légèreté dans le ton qui contraste avec le sérieux du fond et évite le pathos.
Au-delà de l'aspect instructif de l'histoire concernant la société turque de la fin du XXe siècle à nos jours, le personnage principal est relativement attachant et son parcours intéressant. On comprend notamment combien le fait de s'être définitivement engagé dans la carrière artistique a été pour lui complexe et largement moins anodin que ça aurait pu l'être dans un pays purement démocratique et libre, et à quel point il a pu être tiraillé entre sa passion et la peur qu'elle engendrait pour sa famille qui tenait tant à lui.
A priori, une suite est annoncée mais ce simple premier tome se suffit déjà très bien à lui-même. |
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