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  rohagus
| J'ai cru que j'allais beaucoup apprécier cet album. En effet, il s'entame de manière très réjouissante.
Cela commence comme ces dystopies un peu loufoques telles que Horologiom, un royaume de béton aux immeubles titanesques et déshumanisés où le rire et le sourire sont interdits par décret royal, l'inverse d'un Houppeland où la fête était là au contraire obligatoire. Seul le Roi Joyeux, sa famille et les nobles Sous-Joyeux sont autorisés à rire, et c'est d'ailleurs parce qu'il rit toujours de bon cœur que le Roi est Roi. Sauf que justement, en réalité, ce dernier cache sa déprime derrière un rire de façade, et malheur à qui l'apprendrait. Quand son frère et rival veut dévoiler la vérité pour reprendre le trône, il se voit exilé au bas de la gigantesque et resplendissante tour royale pour aller vivre dans l'obscurité du monde des Sinistres. Ce qui va fortement attrister la pourtant toujours rigolarde Princesse Carmine qui aimait tant son tonton. Et l'Homme sans sourire dans tout ça ? Eh bien, c'est l'un de ces fameux Sinistres, un homme du commun qui pourtant n'a que la bonne humeur à l'esprit depuis sa naissance. Mais comme c'est interdit, on lui a coupé les muscles zygomatiques pour le maintenir en permanence derrière un faciès malheureux.
C'est une fable oscillant entre l'obscurité et l'humour.
Issu du monde de l'animation et du graphisme, c'est le premier album dessiné par Stéphane Hirlemann. Il s'en sort très bien surtout pour ce qui est de la cité et de ses perspectives démesurées. Sa ville sinistre survolée de dirigeables est superbe, et le contraste avec la tour immaculée du roi fonctionne très bien. Le trait est plus hésitant sur les visages des protagonistes mais cela n'a rien de dérangeant. Et puis j'ai été sensible aux influences que l'on ressent dans son style, et par exemple à ce que je pense bien être un clin d’œil à L'Incal de Moebius dans le dessin pleine page de la toute dernière planche de l'album.
Qu'il s'agisse de ses architectures gigantesques et déshumanisées ou du fond du récit lui-même et de ce tyran maniaque et ridicule perché en haut de sa tour, il y a beaucoup du Roi et l'Oiseau dans cette BD, avec d'ailleurs une référence directe à l’œuvre de Prévert et Grimault au détour d'une phrase.
La narration m'a beaucoup plu au départ. Le texte narratif est en effet très présent et en grande partie écrit en rimes, avec une certaine forme de jubilation et d'humour. Le narrateur brise régulièrement le quatrième mur en s'adressant, parfois directement au lecteur, parfois directement aux protagonistes du récit, le plus fou d'entre eux l'entendant et lui répondant pour de bon. Malheureusement, j'aurais aimé que la narration finisse par se faire un peu plus discrète car à la longue elle se révèle trop présente, venant finalement alourdir le rythme et impacter la fluidité de la lecture.
Mon enthousiasme initial est venu peu à peu buter sur un récit qui s'enlise doucement, sans jamais devenir ennuyeux mais qui perd de sa saveur. Je n'ai d'ailleurs réussi à m'attacher à aucun des personnages en particulier. Et puis la fin de l'intrigue elle-même m'est apparue embrouillée, une fin en queue de poisson pas satisfaisante...
... jusqu'à l'épilogue qui en deux pages vient donner un jour nouveau au récit et à son message véritable. Je dois avouer avoir été pris complètement au dépourvu par cette révélation qui, je vous préviens, vient de l'extérieur et n'est pas inhérente au conte lui-même. Mon ressenti face à celle-ci a été double. D'une part, j'ai été épaté par la manière dont elle modifie la vision du récit que je venais d'achever et surtout par la confession intime et courageuse qu'elle impliquait. Mais d'autre part, je me suis senti un peu mal à l'aise, me demandant s'il fallait forcément qu'une telle révélation bouleverse le ressenti que j'avais éprouvé à la lecture et m'oblige à l'aimer.
Au final, j'ai décidé que non et que je resterai sur mon impression d'une seconde moitié de l'intrigue un peu trop confuse, mal rythmée et parfois trop bavarde, qui a réduit le grand plaisir que j'ai eu à lire la première moitié. C'est un joli conte noir, qui prend d'autant plus de saveur quand on découvre sa révélation finale, mais ce n'est pas l'excellent récit qu'il aurait pu prétendre à devenir s'il avait continué dans la foulée de ses premières pages. |
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