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| La guerre des rues et des maisons |
Une artiste américaine installée à Montréal participe au printemps étudiant de 2012. Observant les tactiques policières sur le terrain, elle amorce une réflexion sur l’urbanisme comme moyen de contrôle des soulèvements populaires.
Essai à la première personne, La guerre des rues et des maisons retrace l’histoire de la planification urbaine des grandes métropoles depuis la révolte d’Alger matée par le maréchal Bugeaud, de la remodélisation de Paris par Haussmann au travail de Robert Moses à New York. Car tout est question d’échelle, humaine et inhumaine.
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  Mael
| Auteure américaine émigrée à Montréal, Sophie Yanow vit de près l’ébullition de la révolte et s'intéresse aux tactiques des policiers - ces amateurs de souricières -, permettant une réflexion élargie sur l'urbanisme comme mode de compression de la contestation mais aussi comme outil.
Partant de l'exemple québécois, elle brosse un portrait historique convoquant l'ouvrage du Maréchal Bugeaud sur la prise d'Alger et sa casbah inextricable. Les ruelles, les escaliers, l'illogique de l'architecture, tout ça pousse le Maréchal, une fois la bataille gagnée, à tout raser : détruire, faire de grandes rues, libérer l'espace pour faire de belles avenues. Ce sera aussi la logique d'Haussmann à Paris, il parlera de l'importance de l'espace, de circulation, de respiration, mais aussi de la grande difficulté d'y élever des barricades.
De forteresses extérieures, les villes deviennent ainsi protégées à l'intérieur d'elles-mêmes, repoussant toutes idées de guerres civiles. Pourtant, et cela frappe Sophie Yanow, les villes sont étouffantes par rapport à sa campagne natale. Malgré leurs grands axes, on y est compressé, et les manifestations géantes réussissent à les remplir. Le jeu préféré des agents reste l'encerclement, faire dévier les trajectoires et créer de jolies petites prisons à ciel ouvert. C'est un jeu, une guerre de position, ou la peur de l'arrestation (qui plus est pour une étrangère, qui pourrait être chassée du pays) et la pression de l'encerclement joue autant que la charge elle-même.
Face à cette culture de la rentabilité architecturale, Yanow rappelle aussi que l'urbanisme peut être réapproprié, et la ville pensée comme ennemie, devenir un outil de la lutte. La réappropriation, elle est symbolisée par les jeunes banlieusards de La Haine, qui occupent les toits en fêtes improvisées, ou par les manifestants si nombreux qu'ils empêchent toute circulation dans les rues de Montréal. La ville si grande, si oppressante, devient une alliée. Puisque, aujourd'hui, on ne peut, a priori, tout raser au canon, la masse peut recréer les aspérités manquantes. Une idée rappelée lors de la séquence de projection d'un film-manifeste au nom superbe : Nous la forêt. Eux, la nature sauvage et indomptable qui revient en ville, ils sont des milliers, ils sont là, et ils sont un bloc.
Alternant évocations historiques et instants de la grève, Sophie Yanow réussit d'audacieux parallèles qui ne sombrent ni dans l'intellectualisme snob de la citation illustré, ni dans la chronique passive. Un étrange coup de force difficilement descriptible qui doit beaucoup a un dessin évanescent n'hésitant pas à passer du croquis habile au symbolisme épuré dont les effets graphiques servent à merveille le propos. L'usage d'un gaufrier récurrent (même si mouvant) principalement rompu par de pleines pages excluant la case en est la plus belle illustration : sortir d'un rigide cadre défini pour exprimer naturellement ce que l'on a à dire, n'était-ce pas aussi le but premier des manifestants ?
Un article originellement publié sur le blog « La politique québécoise vue de France ».
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