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  Mr_Switch
| Ah ça, on peut pas dire, il est doué, ce Jean Teulé.
J’avais déjà aperçu l’intégrale des Gens de …, dont la couverture est assez flashie, assez attirante de loin. Elle l’est moins de près, quand on la découvre en détails, certes.
Mais celle du premier tome original chez Casterman, (celui que j’ai donc lu), ce n’est pas la même paire de manches. Le message semble plus clair. Du sordide à la pelle, devant lequel j’aurais tendance à fuir. Oui, la couverture est sordide : Une photo floue délavée, le grain de la photo bien visible, une soucoupe volante … Le contenu du bouquin l’était-il aussi ?
Je repense à des choses comme le journal Détective, grand pourvoyeur d’articles de faits divers, ou des émissions de télé comme Les 7 péchés capitaux.
Je crains au mieux des récits misérabilistes, au pire des histoires complètement fangeuses, prenant de simples gens comme défouloir.
Mais l’album a bonne presse, il doit y avoir une raison. Ouvrons cette BD, ce docu-photo. Attaquons le premier récit. La soucoupe volante, justement. Je la connais déjà, en fait, cette anecdote, ça ne se passe pas si loin de chez moi…
Au fil des pages, il se confirme que nous sommes bien dans l’exploitation de faits divers. L’émission Strip-Tease vient à la pensée. Au fil des histoires, se multiplient les confessions plus ou moins intimes de paumés, d’originaux ou de gens qui s’accrochent à leurs rêves. Teulé se place en observateur. On pense au Bas les masques de Mireille Dumas.
Sauf que ce n’est pas ça ! Car les portraits que dresse Teulé sont tantôt amusés, tantôt cruels pour ces personnes. Tout cela sans qu’il ne soit moqueur. En outre, s’il appuie ci ou là sur quelques côtés puants, s’il donne des aperçus du plus profond de la bassesse humaine, il ne s’y attarde pas. Ce n’est pas cela qui l’intéresse, manifestement. S’il y revient de temps en temps, c’est par petites touches, pour mieux enfoncer le clou.
C’est un peu Groland, mais en vrai, et sans le coté malsain-scato-railleur. C’est là, le tour de force du sieur.
Non, vraiment, il est fort ce Teulé !
Il est fort parce qu’alterner l’affaire Grégory et la fabrique de soucoupe volante, les post-soixante-huitards du Larzac et les sœurs Papin … Et que cela semble le plus naturel du monde. Ca parait fou…
Et pourtant, malgré le malaise inévitable (et volontaire), l’ouvrage n’est jamais vraiment malsain.
Teulé ne fait pas dans le sensationnel ni dans le misérable. Au détour d’une phrase, il se fait même rosse envers une jeune fille suicidée. Choquant ?
Oui, bien sûr. Mais c’est ce même cynisme, cette même ironie qui est également le morceau de sucre qui aide la médecine à couler. Teulé commente, commente avec du recul. Il prend de la distance et donne sa vue d’ensemble.
Je dis il commente. Mais n’allez pas croire qu’il s’agisse d’un long monologue analytique. Non, c’est une douche écossaise. Deux pas en avant pour être caustique, appâter le lecteur. Teulé choque avec de divers sous-entendus plus ou moins explicites, il chauffe son lectorat. Et là, un pas en arrière, il reprend le froid rappel des faits. Puis réchauffe, pour mieux resservir son humour à froid. Teulé pêche au leurre. La lecture est fluide, malgré les blocs de texte. Il maintient un intérêt ondulatoire. Il module son texte. Il fait sentir la basse puanteur de certaines histoires, et avant qu’on y plonge, il change le cap.
Et pourtant, c’est Teulé qui est le plus fuyant. C’est Teulé, l’anguille qui ondule et qu’on ne peut saisir, qui file entre vos mains. Une fois qu’il a raconté ce qu’il voulait sur telle anecdote, il fuit par l’autoroute vers une autre ville, une autre anecdote. Et on ne peut pas tout saisir. Que pense vraiment Teulé ? Parce que bien sûr, il nous mène en bateau (enfin en voiture). Il ne nous dit que ce qu’il veut bien. Que cache cette ironie ?
Le fil conducteur du bouquin, c’est Teulé. Mais est-ce le vrai Teulé ? Qui y a-t-il derrière le masque de papier ?
Tiens c’est vrai ça, Teulé ne fait pas tomber son masque, ni ceux des victimes. Non vraiment ce n’est pas Bas les masques.
Je ne sais pas comment il fait, je ne sais pas ce qu’il fait ou voulait faire. Mais c’est très réussi. |
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