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  Eugene le jip
| Dans la Bd actuelle, Cages est une espèce d'Ovni. Un gros pavé de 450 pages avec des dessins "normaux" et des bulles, des photos retouchées, des peintures abstraites, des montages hétéroclites... Cages est aussi peuplé de personnages gentiment fêlés, un peintre à la recherche de son inspiration, un écrivain mis au banc de la société, un pianiste de jazz, poète à ses heures qui fait chanter des cailloux, un chat mystérieux, un type à poil qui tombe du ciel, une ménagère paumée qui se raccroche à son pauvre quotidien, un type qui se balade avec des planètes et des étoiles miniatures en guise de chapeau, une espèce de dieu par procuration, une botaniste qui fait pousser des arbres dans son salon, un roi qui fait construire la tour de babel....
A travers ces personnages, leurs doutes, leurs envies, leurs contraintes, Mc kean dresse un portrait peu flatteur de l'humanité, entre l'homme en cage qui essaie d'en sortir et son contraire, celui qui a peur de la liberté et se construit une cage pour se protéger d'un monde extérieur éminement hostile.
Le dessin BD de Mckean rappelle un peu celui de Baudoin. Non pas par le dessin proprement dit, mais par la liberté qu'ils prennent tout les deux avec le trait, plus proche de la peinture que du dessin proprement dit. Les cases ne sont pas là que pour raconter, elles dégagent aussi une émotion propre. Mais là où Baudoin fait s'envoler des oiseaux de la tête de ses personnages, Mckean les mets en cages. Puis, derrière, il y a les peintures, les montages, art ou Mc kean excelle.
Cages est une oeuvre dense, relativement noire, qui se découvre lentement, au fil des lectures. Car il faudra plusieurs lectures pour savourer toute la subtilité du truc. A ranger à côté de From hell, Jimmy Corrigan ou V pour Vendetta. C'est pas le même registre mais c'est, à mon avis, le même niveau, avec une dimension graphique supplémentaire liée au talent de Mckean. |
Nirvanael
| Cages nous transporte à Londres, dans un immeuble et ses alentours, alors que Léo, peintre en quête de son inspiration, y emménage. Face à l’acte de créer, il erre, et rencontre des voisins, d’autres artistes, des inconnus, qui bouleverseront son environnement et sa vision des choses, car même s’il ne fait que les croiser (physiquement ou dans un récit parallèle au sien), ils font partie d’un tout qui se livre à nous dans les moindres détails.
Il y a d’abord Karen, une jeune botaniste dont l’appartement tient lieu de serre expérimentale, puis Jonathan Rush, homme discret et mystérieux qui reçoit des « visites » auxquelles il est résigné, Angel, un musicien de jazz et poète magicien, une ménagère accrochée à la moindre parcelle d’un quotidien aux fragrances de nostalgie, un homme nu qui tombe du ciel, un autre coiffé de planètes et d’étoiles, un roi faisant construire la tour de Babel, un dieu vacataire, ou encore un chat noir, qui observe tout cela, sourire en coin.
Cages est une bande dessinée étrange, qui ne s’abordera pas comme les autres.
Son impressionnant format de cinq cents pages laisse le temps à l’intrigue générale de se développer, aux points de vue de se multiplier sur différents personnages ou récits, et quitte à décontenancer au départ tout en se faisant fascinant, de lier un ensemble qui parait bien disparate de la façon la plus habile qui soit. La construction narrative, qui multiplie les tons et les formes, est en effet une démonstration de virtuosité, mais le lecteur ne peut prendre pleinement conscience de cela que lorsqu’il aura achevé l’album, avec beaucoup de mal à envisager une autre lecture pendant un certain temps.
Cages est une bande dessinée d’une incroyable richesse. Outre l’interaction entre les personnages, les multiples intrigues qui se dévoilent au fur et à mesure et les thématiques qui nous frappent par alternance, c’est le travail graphique, constamment changeant et en total adéquation avec le sentiment, la sensation, que l’auteur tente de nous faire atteindre par delà les pages, qui marquera ici. Nous n’avons pas l’impression de lire seulement une bande dessinée mais plutôt de suivre tour à tour un récit illustré de peintures, de gravures, de montages, de photographies, œuvres magnifiques en elles-mêmes qui ont en plus la force et l’incarnation d’une histoire, qu’elle soit genèse d’un univers, d’une civilisation, ou réflexion d’un artiste sur son art ou sa vie. Cages est une bande dessinée par laquelle passe le métissage de tous les arts et qui, malgré sa longueur et la sans doute très grande ambition initiale de Dave McKean, son auteur, est digeste de bout en bout, sans que l’on ne sente une page de trop.
Livre plutôt noir, et bleu, il nous fait comprendre que les cages sont en fait les existences humaines et les aspirations qui y sont liées, que l’on s’y enferme ou que l’on s’en libère. Ce chef-d’œuvre dense et sensible ne nous y enfermera en tous les cas pas plus, c’est une certitude.
J’espère vous avoir donné envie de le lire, de le vivre, ne serait-ce qu'un peu.
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