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| Comment devient-on Art Spiegelman, mythique auteur de Maus, célébré par le monde entier ? Sous-titré « Portrait de l’artiste en jeune %@S★! » (un clin d’oeil à une oeuvre célèbre de James Joyce), Breakdowns, le tout nouvel album d’Art Spiegelman, entreprend ce parcours autobiographique, avec toute l’acuité, la verve, l’exigence et la profondeur qu’on lui connaît.
La première partie de l’ouvrage, la plus récente puisqu’elle a été réalisée au cours des deux dernières années, est aussi celle qui plonge ses racines le plus loin dans le passé. En un subtil jeu de va-et-vient sur plusieurs périodes-clé de son existence, Spiegelman raconte ses années d’éveil, de formation et d’apprentissage, de la fin des années 40 au milieu des années 70, de l’après-guerre jusqu’au coeur de la contre-culture américaine. Tout à la fois acéré, émouvant et ironique, il y évoque plus particulièrement sa fascination précoce pour la bande dessinée, et l’apport salvateur qu’ont constitué les comics pour son esprit d’enfant puis d’adolescent, dans l’univers crépusculaire qu’est alors son environnement familial. Une fascination qui prendra la forme d’une vocation, ainsi qu’en témoigne
La seconde partie de l’ouvrage, véritable album dans l’album : il s’agit en effet du fac-similé du tout premier album professionnel de Spiegelman, Breakdowns — qui donne son titre à l’ensemble du volume. Initialement publié en 1978 à quelques milliers d’exemplaires seulement (un tirage quasi confidentiel pour les Etats-Unis), Breakdowns n’avait jamais été réédité depuis lors, et demeurait totalement inédit en langue française. Une nouvelle édition tout à la fois historique et passionnante : la quinzaine de récits courts que rassemble ce recueil témoigne, déjà, de la démarche d’innovateur et d’expérimentateur qui conduira Spiegelman, quelques années plus tard, à révolutionner les fondements du roman graphique et de la narration en images avec son monumental Maus.
La troisième et dernière partie de Breakdowns, enfin, est un court essai illustré où Spiegelman, cette fois autant écrivain que dessinateur, revient sur les raisons qui l’ont conduit à concevoir et réaliser l’album qui paraît aujourd’hui. Toutes proportions gardées, c’est donc finalement un autre travail de mémoire qu’accomplit ici l’auteur de Maus, parvenu à ce moment de l’existence où l’on accepte plus volontiers de commencer à regarder derrière soi (Art Spiegelman fête ses 60 ans le 15 février 2008). OEuvre majeure, aussi intense qu’émouvante, Breakdowns est aussi, par ailleurs, une formidable aventure éditoriale, dont Art Spiegelman a tenu à suivre scrupuleusement toutes les étapes. La traduction française est cosignée par Pierre Lévy-Soussan, psychanalyste et grand connaisseur de la BD américaine, et Richard Zrehen, philosophe et spécialiste du polar. Le lettrage entièrement manuel est d’Amandine Boucher, une référence en la matière puisqu’elle avait assuré celui de la réédition géante de LittleNemo). Évenement rarissime pour un auteur américain de cette envergure, l’ouvrage publié par Casterman, paraît plus de six mois avant la version en langue anglaise, annoncée pour octobre 2008 chez Pantheon Books. Lancé à l’occasion du Salon du Livre de Paris, Breakdowns est assurément l’événement bande dessinée de l’année 2008. |
  Charlie Brown
| Breakdown...
Mon Cambridge English-French Online Dictionary me donne 7 manières de traduire ce terme selon le contexte : échec ; rupture ; panne ; ventilation ; détail ; décomposition, dépression. Une fois que l'on a refermé le livre, force est de constater que toutes les acceptions sont valables pour définir ce que l'on vient de lire ! De l'art de titrer un ouvrage...
Et encore, Breakdowns n'est-il à proprement parler que la partie centrale du présent ouvrage. Celle qui fut tirée à très peu d'exemplaires aux USA en 1977 et jamais traduite en français, exception faite des quatre pages intitulées Prisonnier sur la planète Enfer, figurant dans le mémorable et incontournable Maus, pierre angulaire de la « révolution » Graphic Novel s'il en est et quasi tombeau du grand Arthur Spiegelman (comment rebondir après un tel chef-d'oeuvre ?... comment progresser quand tout sera mesuré à l'aune de cet étalon ?)
Maus, dont la mouture originelle consiste en un court récit de trois pages, quasiment en ouverture de l'édition originale de Breakdowns, sous-titrée alors : « De Maus à maintant. Une anthologie des BD d'Art Spiegelman. » (comprendre : de 1972 à 1977).
Mais l'intérêt de cette nouvelle édition, s'il réside évidemment en partie dans le fait que l'on puisse enfin lire ce recueil d'expérimentations bande dessinesques underground, se trouve en non moins grande partie dans le fait que ce soit une nouvelle édition augmentée. Et augmentée de telle manière que les ajouts - une nouvelle bande dessinée en guise de préface et une petit essai illustré en guise de postface - rivalisent sans mal, question intérêt, avec le matériel original !
Tout est dans le nouveau sous-titre : « Portrait de l'artiste en jeune %@S*! »
Référence à l'oeuvre quasiment éponyme de James Joyce - rien que ça ! - dont ce que j'en connais (il va sans dire qu'en tant qu'inculte je ne l'ai pas lue... Ce qui ne m'empêchera pas, car je n'ai honte de rien, de trouver le parallèle fort à propos), dont ce que j'en connais donc, disais-je, à l'air de parfaitement coller avec la démarche spiegelmanienne ! Si l'on est intéressé par la chose, on trouvera, en cliquant sur le lien ci-après, une succincte mais éclairante "explication" du Portrait de l'artiste en jeune homme de James Joyce.
En iconoclaste et, plus simplement, en auteur de bandes dessinées, Art Spiegelman a quant à lui remplacé le terme d' « homme » par les signes « cabalistiques » : %@S*! (à noter que le « S » de la proposition est en fait un petit tourbillon à deux boucles, tel qu'on peut le voir sur la couverture du présent album, et qui est plus ou moins le fil conducteur (le fil d'Ariane ?) de la chose...)
Comme tout pratiquant bédéphile est en mesure de le comprendre, cette agglomération de signes abscons remplace avantageusement n'importe quelle insulte, juron ou « vilain » mot... (j'aimerais bien savoir, soit dit en passant, pourquoi Art Spiegelman a choisi ces signes – pourcentage ; arobase ; tourbillon ; étoile à cinq branches ; point d'exclamation – plutôt que d'autres...)
Nous sommes donc libres d'interpréter le mot manquant à notre guise...
Pour ma part, je le remplacerais bien, selon les tours que prend le récit, par :
- « con » ou « connard » : l'artiste, jeune qui plus est, et tout génie qu'il puisse être (voire surtout si c'est un « génie ») peut se révéler très con au quotidien ! Le jeune Spiegelman est donc parfois un connard (cf. sa femme qui ne supporte plus ses comportements et réflexions par exemple...)
- « arrogant », « ambitieux » voire « présomptueux » : l'artiste ne se prend pas pour de la merde. L'artiste revendique crânement le substantif d' « Artiste », avec un grand A ! Il a l'ambition de faire évoluer, voire de changer radicalement, le moyen d'expression qui est le sien. Rien de moins !
- « branleur » : l'artiste, s'autoproclamant marginal, se comporte comme tous les marginaux, s'imaginant en rupture de ban avec la société... Ce faisant, il ne fait qu'endosser une des multiples panoplies que la société met à sa disposition. Il s'en rendra compte un jour mais, paraît-il, il faut bien que jeunesse se passe...
Bref, un portrait de l'artiste en jeune [...] (remplissez les pointillés à votre convenance) par le même artiste en « vieux » (la soixantaine fringante quand même... tout est relatif) lucide, assagi, goguenard, amusé...(poursuivez l'énumération à votre convenance). Une brillante analyse sur un parcours somme toute exceptionnel. Un regard forcément intéressant, dénué d'aigreur ou de regrets, porté sur une vie, une oeuvre et la construction des deux, dont tous les questionnements n'ont pas trouvé de résolutions (une vie quoi...)
Et à ceux qui se demanderaient (je fais partie de ceux-là...) pourquoi Art Spiegelman n'a-t-il pas, nom de dieu, publié plus de choses en soixante ans de vie bien remplie, le subtile et facétieux artiste donne une piste en fin d'ouvrage - dans une planche datant de 1976 et intitulée Des boîtes pour l'armée du salut - en citant le poète et romancier anglais Robert Graves : « Tout poète sait, au fond de son coeur, quels sont les poèmes nécessaires et ceux qui ne le sont pas. Mais, trop souvent, il cherche à abuser en les jugeant tous nécessaires... Les poèmes nécessaires sont rares, et les poèmes dont la nécessité originale n'a pas été entamée... encore plus rares. Dans l'idéal, seuls ceux-là devraient être publiés. »
Il va sans dire que l'oeuvre de Spiegelman est de la plus haute nécessité... |
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